Stéphane Goudet
« SANS DIVERSITÉ, LES SPECTATEURS SONT PERDANTS » Directeur artistique d’un des cinémas indépendants les plus emblématiques du pays, le Méliès de Montreuil, Stéphane Goudet nous parle du futur grand embouteillage. Derrière l’angoisse du trop-plein, peut-ê
Le débat sur le thème “Y a-t-il trop de films ?” existe depuis quinze ans. En général, nous répondons que ce trop-plein apparent contraint à faire de vrais choix de programmation et que c’est plus un problème pour les distributeurs que pour les exploitants. Mais cette fois, le nombre est complètement fou et change la donne. Nous allons devoir refuser des dizaines de films, parfois bons, que nous aurions programmés sans cette fermeture prolongée des salles ; ça ne peut pas être une aubaine. Alors, bien sûr, ce sont les exploitants qui choisissent les films, mais en négociant avec les distributeurs. De façon assez caricaturale, les distributeurs indépendants seraient plutôt favorables à une charte de bonne conduite, à un calendrier concerté pour garantir une forme d’équité et de respect de la diversité, pour éviter que quelques titres ne cannibalisent la fréquentation. Certaines majors sont en revanche convaincues que l’affaiblissement des salles françaises favorisera la loi du plus fort et sera profitable aux blockbusters américains et français. Elles n’hésitent pas à dire que le marché seul sera le juge de paix. De mon point de vue, si la diversité des films exposés est réduite, le 7e art et les spectateurs seront aussi les grands perdants de cet embouteillage, ce qui doit aussi inciter les exploitants à agir ensemble en cas d’abus flagrants de position dominante. Comme tout le monde, j’ai cru à la réouverture mi-décembre. Et l’annonce sans la moindre concertation de la nonréouverture quelques jours avant l’échéance a été un coup de tonnerre. Notre erreur collective a peut-être été de ne pas nous insurger contre l’adoption d’un critère unique pour les lieux de culture (moins de 5 000 contaminations quotidiennes) au lieu d’être alignés sur le critère qui définit la possibilité d’ouvrir des commerces, à savoir la surface au sol. L’hypothèse que je soutiens dans le numéro d’avril de Positif semble rejoindre les propositions du docteur Jean-Paul Hamon, exprésident de la Fédération des médecins de France. Il indiquait début avril que les cinémas devraient rouvrir “avec une jauge de 30 %”. “Enfin, pas tous les cinémas”, précisait-il… Les salles “art et essai” pourraient tout à fait rouvrir mi-mai avant les multiplexes, qui seraient exclus pour cause de surface au sol trop importante (et de brassage plus large de la population). Les salles ouvertes montreraient les films de la diversité, attirant moins de spectateurs que les blockbusters promus par les circuits. Et le vieillissement de la population des cinémas “art et essai”, si vilipendé, deviendrait un atout puisque le taux de vaccination des seniors sera à ce moment-là bien supérieur au reste de la population. C’est par ailleurs une option qui permettrait d’éviter pour certains films le “grand embouteillage” qui devrait écraser les oeuvres les plus modestes et novatrices au profit des plus identifiées. En s’opposant à toutes les logiques de concentration mortifère, la Covid pourrait redistribuer, pendant quelques semaines, les cartes de l’égalité… »