LE DEUXIÉME SOUFFLE
Mélanie Laurent revient dans le jeu
Impressionnante dans Oxygène, la comédienne renoue avec ce goût du jeu qui avait un peu disparu derrière celui de la réalisation. L’occasion de faire le point avec celle qu’on retrouvera bientôt devant et derrière la caméra dans le très ambitieux Bal des folles.
Elle n’avait pas vraiment disparu des écrans. Tout récemment, on avait d’ailleurs pu la voir chez Gilles de Maistre (Mia et le lion blanc) ou Michael Bay (Six Underground). Pourtant, on avait le sentiment que pour Mélanie Laurent, le plaisir de mettre en scène avait pris le pas sur celui de jouer. Et voilà que surgissent Oxygène d’Alexandre Aja et ce rôle de jeune femme enfermée dans un caisson de cryogénisation qui doit retrouver sa mémoire envolée pour parvenir à s’en sortir. Le film repose entièrement sur ses épaules. Et plus qu’une performance, Mélanie Laurent réussit à susciter de l’empathie envers son personnage et à éloigner Oxygène du film-concept désincarné. Bref, elle retrouve les fondamentaux de son métier d’actrice avec un bonheur qui traverse l’écran. Mieux, dans cette période si particulière, elle semble vivre un des temps les plus radieux de son parcours. Elle qui a eu à subir régulièrement la vindicte épuisante des réseaux sociaux s’était sans doute éloignée pour se protéger. 2021 sonne l’heure de son grand retour. Cet automne, on la retrouvera devant et derrière la caméra avec Le Bal des folles où Lou de Laâge campera une jeune femme capable de voir les morts, envoyée par sa famille dans le « service des hystériques » du professeur Charcot. Un film Amazon Prime dont les premières images révèlent l’ambition. Une nouvelle Mélanie Laurent semble être arrivée. On l’a rencontrée.
PREMIÈRE : Comment vous êtesvous retrouvée à jouer cette amnésique prisonnière d’un caisson de cryogénisation dans Oxygène ?
MÉLANIE LAURENT : Mon agent m’a appelée pendant le premier confinement, pour me dire qu’il venait de recevoir ce scénario et qu’Alexandre [Aja] voulait me confier le rôle. Ma première réaction a été d’avoir peur de lire ! (Rires.)
Pourquoi ?
Parce qu’à ce moment-là, j’associais le nom d’Alexandre à celui du grand cinéma d’horreur et que je n’avais aucune envie de me retrouver couverte de sang dans des situations improbables. J’avais donc l’appréhension de lire quelque chose qui pourrait me plaire ! Pour autant, je me suis lancée. Et là, contrairement à mes habitudes, plus qu’une histoire, j’ai d’abord lu un personnage. Et je me suis retrouvée face à un challenge. Donc en refermant le scénario, ma première question n’était pas de savoir si j’aimais ou pas, mais si je serais capable de réussir ce que ce rôle exigeait.
Vous en êtes-vous sentie capable rapidement ?
L’envie de faire partie de cette aventure a très vite balayé cette interrogation. L’excitation aussi, car cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie challengée en tant qu’actrice. Cependant, en refermant le scénario, j’ai eu deux angoisses. D’abord le fait de jouer la colère qui bascule en crise d’hystérie. Car ce sentiment m’étant étranger dans la vie, je ne savais pas où aller le chercher en moi pour le composer. Et je me suis aussi posé la question de ma capacité à assimiler un texte souvent hyper technique dans un laps de temps très court – moins d’un mois – pour que tout paraisse naturel à l’écran.
Comment s’y prépare-t-on ?
Pour le texte, il faut apprendre le scénario comme une pièce de théâtre dans une langue étrangère. Pour le reste, tout passe par l’entraînement physique. J’ai eu l’occasion de m’y confronter pour la première fois sur Six Underground de Michael Bay. Et j’ai pris goût à cette idée d’entraînement physique qui a des répercussions sur ton mental. Trois heures de course par jour pour travailler mon rapport à l’essoufflement et mes abdos, tant le gainage était essentiel pour se tordre dans cette boîte. Une fois mon costume enfilé, je ne pouvais plus l’enlever : avec les branchements de câbles, ça prenait une demiheure à chaque fois ! Me préparer au rôle consistait aussi à anticiper le fait de devoir rester des heures allongée sans bouger, dans un autre rapport à l’attente habituelle sur un plateau, avant d’enchaîner 25 pages de texte et les multiples émotions qui vont avec. Je n’ai jamais été aussi épuisée que sur ce tournage où, chaque jour, je ressentais physiquement le manque d’oxygène dans cette boîte fermée, avec une oreillette dans laquelle Alexandre me dirigeait, dans la même logique de perdre le moins de temps possible et prévenir toute déconcentration.
Vous avez beaucoup répété en amont ?
Non, on a fait une simple lecture pour se mettre d’accord sur l’essentiel. Peut- être qu’Alexandre aurait souhaité plus, mais moi je ne voulais pas. Car dans un film comme Oxygène, l’instinct est essentiel. À trop répéter, il se serait envolé. C’est passionnant comme travail. Comme la sensation de sauter dans le vide sans filet. Je pense à cette scène où je hurle et frappe de toutes mes forces ce caisson de panique. Jusqu’à « Action », je n’avais absolument aucune idée de ce que j’allais faire. Pour la première fois de ma vie d’actrice, j’étais incapable de me projeter. Le déclic est venu d’Alexandre qui m’a simplement dit vouloir voir un animal sauvage enfermé dans une cage en train de suffoquer. C’est ce que j’ai joué. Le fait d’avoir aussi peu d’échanges avec d’autres comédiens, de rester en permanence dans le décor change la donne. Ça permet de retrouver le trac. Ça n’a pas de prix de revivre ça à 38 ans !
On avait le sentiment que ce plaisir de jouer s’était effacé chez vous derrière celui de réaliser. Oxygène marque une reconnexion avec votre métier d’actrice ?
Indéniablement. Dans tout parcours, c’est souvent dans les moments où tu te sens prête que le rôle dont tu rêves n’arrive pas et quand tu n’y crois plus qu’il surgit ! Le but, entre les deux, est de continuer à travailler malgré tout, sans tomber dans l’aigreur et la frustration.
Ça vous est déjà arrivé ?
Non, car chez moi cette attente fait naître de l’appétit. Oxygène est arrivé à un moment où je venais de refuser pas mal de propositions parce que j’avais eu un bébé et que je préférais passer du temps auprès des miens plutôt que sur des plateaux avec des projets qui ne me passionnaient pas. Là-dessus s’est rajouté le confinement. Je ne me voyais sortir de cette parenthèse que pour faire quelque chose de vraiment spécial. Un mot qui convient parfaitement à Oxygène.
Sauf qu’à refuser beaucoup, on court aussi le risque de disparaître des radars. Vous vous sentez déconnectée du petit monde du cinéma français ?
Oui, mais parce que je m’en suis moi-même déconnectée. Plus largement, j’ai retrouvé du plaisir à faire mon métier en ne lisant plus rien de ce qu’on écrit sur moi. Une fois pour toutes, j’ai choisi de suivre ce postulat : je suis une artiste, je propose des choses… et les autres en pensent ce qu’ils veulent. Je fais, je trace et je ne me retourne pas. Dès lors, tu ne te sens plus triste parce que tu ne fais plus partie de telle ou telle famille de cinéma. Ma propre famille est devenue mon socle. Du coup, quand je vais bosser, je sais pourquoi. Je ne regrette pas le passé. Mais je sais que j’ai perdu énormément de temps à vouloir plaire.
Les critiques parfois virulentes et blessantes que vous avez reçues ont pu vous bloquer ?
Un artiste qui n’ose plus proposer meurt ! J’essaie donc de rester connectée à ce qui se passe dans le monde pour ne pas vivre dans une bulle, mais sans m’informer de ce qu’on dit de moi. C’est la clé pour être heureuse.
Pour revenir à votre casquette de réalisatrice, où en est The Nightingale, cette adaptation du Chant du rossignol dans laquelle vous deviez diriger Dakota et Elle Fanning ?
Le confinement a été décrété… à quatre jours du début du tournage ! Et je dois avouer qu’avant que le couperet tombe, j’étais dans un total déni. On a même fait une préjournée de tournage avec des doublures car je tenais à avoir des plans de neige. Et puis, donc, tout s’est arrêté. On a d’abord tous été sous le choc. Puis on m’a demandé de reprendre sans connaître exactement les conditions du tournage quand tout allait de nouveau être possible, alors que le film comporte de nombreuses scènes intimes. Et c’est moi qui ai eu peur de tourner à nouveau dans ces conditions hasardeuses avec autant de monde sur le plateau et cette responsabilité de capitaine.
« DANS UN FILM COMME OXYGÈNE, L’INSTINCT EST ESSENTIEL. ON SAUTE DANS LE VIDE SANS FILET. »
Cette décision tranche avec votre côté hyperactif, passant sans temps mort du cinéma au théâtre ou à la musique…
Oui, mais j’étais incapable d’assumer humainement l’idée que si un technicien tombait malade, il allait suffire de le remplacer. Je n’ai pas réussi à prendre la décision de faire passer le cinéma avant le reste. Tout était trop flou.
C’est à ce moment-là qu’est arrivé Le Bal des folles, votre prochain film qu’on pourra voir en streaming cet automne ?
Oui, le producteur Alain Goldman m’a appelée pour me dire qu’il avait un livre pour moi. Et que ce n’était pas négociable ! Il est comme ça Alain… (Rires.) Il avait vu juste : j’ai dévoré le roman de Victoria Mas et j’en ai écrit l’adaptation avec Christophe
Deslandes pendant le premier confinement. On l’a tourné durant la deuxième vague.
Ce film sera diffusé sur Amazon Prime et non distribué en salles. C’est une première dans votre parcours de cinéaste.
Il devait au départ passer par le circuit classique. Mais on a été directement confrontés à la conséquence des salles fermées depuis des mois : cet embouteillage annoncé des sorties qui a poussé nos partenaires financiers à freiner des quatre fers. Ce que je comprends parfaitement. Dès lors, je n’avais plus l’argent pour le faire dans un confort minimum sans abîmer le récit. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Thomas Dubois, le directeur des créations Amazon Prime. Dès nos premiers échanges, j’ai senti qu’il allait pouvoir accompagner ce projet en me donnant les moyens de le faire.
Amazon Prime fonctionne comme un studio hollywoodien. Jusque-là, il avait peu produit de films français. Vous n’avez pas craint d’être dépossédée du final cut ?
On signe des contrats à l’américaine donc, au départ, oui, je pouvais me poser cette question. Mais à l’arrivée, je ne me suis jamais sentie aussi libre. On m’a donné les moyens de faire le film que je voulais en me poussant même à être plus radicale que je ne l’envisageais. J’avais les avantages financiers qu’apporte un gros studio avec la possibilité de travailler dans la logique d’un film indépendant.
En allant sur une plateforme, vous n’avez pas peur de trahir la salle, dans le contexte actuel ?
Je rêve de retourner au cinéma ! Cependant, pour moi, la salle et la plateforme ne s’opposent pas mais se complètent. Je suis heureuse que Le Bal des folles puisse être disponible dans une centaine de pays
« JE SAIS QUE J’AI PERDU ÉNORMÉMENT DE TEMPS À VOULOIR PLAIRE. »
le même jour, ça balaie forcément pas mal de questions que j’ai pu me poser pour mes films précédents.
Avec cet enchaînement Oxygène - Le Bal des folles, avez-vous le sentiment de vivre l’une des périodes les plus excitantes de votre carrière ?
Sans aucun doute avec, en outre, la prise de conscience encore plus aiguë, à cause de la crise que nous traversons, que c’est un métier de chance. Il faut certes savoir la saisir et en faire quelque chose. Mais sans elle, tu ne peux rien faire.
Cette chance se mesure aussi à l’envie des cinéastes de travailler avec vous. Vous avez déjà écrit à quelqu’un pour la provoquer ?
Oui, ça m’est arrivé mais après un casting. En l’occurrence à Sam Mendes après avoir auditionné pour un Bond où on avait vite compris tous les deux que ce rôle ne serait pas pour moi. En sortant, je lui ai laissé une lettre où je lui expliquais à quel point j’aimerais travailler avec lui, même si je savais que ce ne serait pas cette fois-là. Un an après, il m’a rappelée et invitée à déjeuner à Londres. On a passé une journée à parler cinéma. Cela reste un souvenir merveilleux.
Et vous a-t-on écrit aussi ?
Oui, pour Le Bal des folles. C’est bouleversant de recevoir ces lettres. Car je trouve ce geste très courageux, et pas très français… alors qu’il est fréquent chez les AngloSaxons. Pour ce film, ça n’a pas marché. Car les rôles qui me restaient à distribuer étaient trop petits par rapport aux statuts des personnes qui m’avaient écrit. Mais leurs mots m’ont marquée.
The Nigthtingale a-t-il une chance de voir le jour ?
Ses producteurs ont décidé de le repousser dans un an. Mais ne sachant pas ce que je ferai dans deux mois, c’est compliqué de se projeter… Par contre, avec Alain [Goldman], on vient d’acquérir les droits d’À mains nues, la BD de Leïla Slimani et Clément Oubrerie. Je suis vraiment très heureuse de nos retrouvailles avec Alain, onze ans après La Rafle. La collaboration avec un producteur est tellement essentielle pour un réalisateur. Je dois pour ma part beaucoup à Bruno Lévy. On a vécu mille choses tous les deux jusqu’au moment où on n’est plus arrivé à aller ailleurs ensemble. Mais ça n’efface rien de ce qui s’est passé. J’ai grandi avec lui. Comme on grandit avec un premier amour qui vous construit. Alain, c’est comme un deuxième amour qui vient me cueillir au moment où j’ai mûri et eu envie d’autre chose. Bruno m’a poussée à faire mon premier film. Alain à faire mon premier film d’époque. Tous deux ont vu plus haut que moi à un moment donné. Ça n’a pas de prix.
OX YGÈNE
De Alexandre Aja • Avec Mélanie Laurent, Malik Zidi, Mathieu Amalric… • Durée 1 h 40 • Disponible le 12 mai sur Netflix