Requiem pour HK
En durcissant la loi sur la sécurité nationale, le Parlement chinois se donne les moyens d’effacer la production HK depuis ses origines. Dans le même temps sort un livre racontant son âge d’or. Est-ce vraiment la fin du cinéma hongkongais ?
En vigueur à Hong Kong depuis l’été 2020, la loi sur la sécurité nationale votée par le Parlement chinois avait réduit au silence les dernières voix dissonantes de l’ex-colonie britannique. Il y a quelques semaines, il a pourtant été décidé de resserrer un peu plus le bâillon sur leur bouche : le texte a été amendé afin de permettre aux autorités d’interdire la diffusion de films jugés « subversifs » par le comité de censure. Si la stupéfaction fut totale (on en a causé jusqu’au JT de France 2), c’est que la mesure s’appliquait non seulement à toute la production hongkongaise à venir, mais aussi à celle tournée depuis… eh bien, depuis, en gros, l’invention du cinéma. La production locale ne fut pourtant pas forcément la plus politisée et contestataire de la planète. Mais elle se caractérisa tout de même par sa liberté de ton inouïe, et son goût des excès, notamment de l’ultraviolence, qui seront peut-être un jour perçus comme des motifs « subversifs » aux yeux d’un régime totalitaire. Ça ne veut pas dire que le catalogue de la Shaw Brothers ou la filmo de John Woo vont se faire atomiser par le pouvoir en place, mais, si le besoin s’en fait sentir, les outils sont là. On fait donc bien attention à conserver ses DVD HK, et on n’espère plus grandchose pour l’avenir.
Contexte mortifère
C’est dans ce contexte absolument mortifère que déboule un petit bouquin très vivifiant imaginé par un jeune homme d’une trentaine d’années et tournant autour de son obsession maladive pour le cinéma d’action hongkongais. Le fort bien nommé Hong Kong Action, signé Marvin Montes (qui s’est entouré par ailleurs de quelques guests), prend ainsi la forme d’une compilation menée pied au plancher et qui liste, avec ce qu’il faut d’érudition et de pédagogie, les sommets les plus faramineux d’un corpus qui en compte beaucoup trop. C’est un livre à la facture modeste et à l’icono réduite, qui est fait pour être écorné, compulsé, griffonné. Ses horizons sont parfaitement dessinés : refiler le virus à ceux qui ne l’auraient pas encore chopé et redonner aux autres l’envie de tomber gravement malades. Car c’est comme ça que fonctionne le cinéma de Hong Kong sur le spectateur : il le rend fiévreux, obsessionnel, complètement désaxé. En partant de la décharge électrique que lui a procurée, durant son enfance, une modeste VHS de Jackie Chan dans le Bronx, qui n’est même pas un « pur » film HK, Montes raconte un rapport au cinéma, le sien, qui fut tout entier déterminé non pas par un genre ni un auteur, mais par un territoire. Qu’il soit désormais complètement aride, et sans aucune chance de renaissance, offre au livre une dimension très émouvante.
Il aurait pu constituer par ailleurs un splendide package avec Septet : The Story of Hong Kong, qui devait sortir ce mois-ci en France, mais s’est retrouvé repoussé sine die. Film à sketches conçu par les maîtres du cinéma local (Ann Hui, Tsui Hark, Sammo Hung, Johnnie To…), c’est une évocation ultra mélancolique, presque morbide, de l’âge d’or du cinéma HK. Malheureusement, même si le film est fini depuis belle lurette, il ne pourra pas débarquer dans nos salles avant d’être sorti officiellement en Chine – et donc d’être soumis au préalable à son nouveau comité de censure. C’est juste contractuel, pas liberticide. Aucune raison de s’affoler, n’est-ce pas ?