Première

MISSION ACCOMPLIE

Barbara Broccoli et Daniel Craig. La productric­e historique et la star de Bond reviennent sur les enjeux du dernier film.

- PAR FRANÇOIS LÉGER

PREMIÈRE : Daniel, que se passe-t-il dans votre tête alors que vous vous apprêtez à dire adieu à James Bond ? Vous êtes mélancoliq­ue ?

DANIEL CRAIG : Non, ce n’est pas de la mélancolie, plutôt une forme de tristesse et énormément d’émotions mêlées. Ce sont quinze ans de ma vie ! Mais je suis ravi qu’on ait fait ce dernier film, parce qu’il permet de régler tout ce qui restait en suspens. Je crois que c’est la bonne façon de prendre congé. BARBARA BROCCOLI : Je suis extrêmemen­t triste de te laisser partir. Et en même temps, tu as raison, Daniel, on est tous d’accord pour dire que ce film est la conclusion qui s’imposait.

La seule chose qui manquait à l’ère Craig, pour faire le lien avec les anciens Bond, était l’omniprésen­ce des gadgets. Ils feront leur grand retour dans Mourir peut attendre… Tout est donc en place pour que 007-Craig vive sa première vraie mission à l’ancienne. Mais ce sera pourtant le film où il tire sa révérence.

BB : Hum. Je ne vois pas les choses comme ça, je regarde les cinq films de Daniel dans leur globalité : toute l’idée derrière l’arc scénaristi­que était de faire évoluer le personnage, qu’il saigne, qu’il pleure… Bref, que ce type, très militaire à la base, cette machine à tuer pour le dire autrement, devienne un vrai être humain. Il a été amoureux, trahi, a perdu sa mère de substituti­on… Daniel a redéfini le personnage de Bond pour le XXIe siècle.

DC : Quand j’ai accepté le rôle pour Casino Royale, j’ai dit à Barbara, ici présente, et à Michael G. Wilson [le coproducte­ur] que je ne pouvais pas ressembler aux précédents Bond. Déjà parce que je suis nul en imitation, et surtout parce que j’avais besoin qu’ils me laissent la liberté de l’interpréte­r comme je le sentais. Ça tombait bien, c’était ce qu’ils voulaient. À l’époque, on n’était pas obsédé par tous les codes classiques des films James Bond, même si je crois qu’on a réussi à les reprendre d’une manière très originale. De toute façon, on ne peut pas traiter le mythe sans connaître parfaiteme­nt son passé…

Vous aviez depuis le début l’idée d’un fil rouge qui raconterai­t l’évolution psychologi­que de « votre » Bond sur plusieurs films ?

DC : Quand on a eu fini de tourner Casino Royale, je me suis dit : « OK, c’est bon. J’ai passé un super moment, on a fait un super film. Allez, je file ! » (Rires.) Mais en fait, j’ai toujours eu derrière la tête cette ambition secrète de raconter une histoire complète en plusieurs films, si on nous donnait la chance de le faire.

BB : Bon, après, on n’a pas fait de réunion pour tracer l’histoire des cinq films. Mais on sentait qu’il y avait quelque chose d’intéressan­t à développer avec l’approche de Daniel. Il voulait un Bond capable de montrer sa vulnérabil­ité, et on a monté la barre toujours plus haut physiqueme­nt comme émotionnel­lement.

Les films James Bond sont toujours un reflet de la société. Qu’est-ce que Mourir peut attendre capte de notre époque ?

BB : Ça va être compliqué d’en parler sans déflorer l’intrigue. Je dirais simplement que ces films existent depuis près de soixante ans, et qu’effectivem­ent, à travers eux, on peut se faire une image précise du monde à chaque décennie. Celui-ci ne fait pas exception.

DC : Mais on ne capte pas forcément l’époque de façon consciente… On se refuse à mettre plein de références à l’actualité du moment, parce que je crois que c’est le meilleur moyen de dater un film.

C’est souvent le méchant bondien qui est l’incarnatio­n de l’époque dans laquelle le film est fabriqué. En quoi le dernier en date, Safin, incarné par Rami Malek, est pertinent à ce sujet ?

BB : Ah ! C’est toujours le grand challenge, n’est-ce pas ? On commence chaque film en se disant : « Quels sont les enjeux émotionnel­s et physiques par lesquels Bond doit passer ? » Et souvent, la réponse vient au moment de la création du méchant, qui doit également incarner les peurs de la société concernant l’avenir proche. On essaie toujours de trouver quelque chose d’original. Regardez dans le rétro, on a eu de tout : des méchants qui représenta­ient la cyberguerr­e, les fake news, les banquiers des terroriste­s… Cette fois, avec Rami Malek, on a trouvé un personnage tout à fait dans l’esprit de ceux qu’Ian Fleming imaginait. Safin est l’incarnatio­n physique du pouvoir invisible pour le commun des mortels. Il manipule le monde depuis les coulisses. Le lien avec ce qui se passe aujourd’hui est évident… Son personnage fait vraiment froid dans le dos parce qu’il est persuadé de faire le bien. C’est un miroir de Bond.

Le Bond de Daniel a évidemment beaucoup évolué dans son rapport aux femmes, mais pas assez pour certains. Est-ce que les caractéris­tiques inhérentes au personnage lui permettent d’être soluble dans l’ère #MeToo ?

DC : Pour vous dire la vérité, ça a été une

longue discussion entre Barbara et moi : comment gère-t-on la misogynie de Bond, qui fait partie intégrante du personnage ? Il a une attitude assez problémati­que envers les femmes. Je le sais, et je ne vais pas m’en excuser. Mais ce qu’on a réussi à faire, du moins je le pense, est d’imaginer des personnage­s féminins incroyable­ment forts – et Judi Dench n’est pas la dernière – pour contrebala­ncer. On ne l’excuse pas : c’est au public de décider ce qu’il pense de Bond. Ce n’est pas à moi de le juger, c’est un personnage, d’autant plus intéressan­t qu’il est un héros mais aussi un humain imparfait.

Comment avez-vous choisi le titre ?

BB : Oh mon Dieu ! Les titres, c’est toujours une énorme galère. On avait pensé à des tas de choses intéressan­tes, mains on ne trouvait pas la formule qui évoque le film sans trop en dire. Et un jour je suis arrivée au bureau : « Je crois que je l’ai ! No time to die. » DC : Quand elle l’a dit, ça a fait tilt. BB : Je trouvais ça super malin, mais je me suis vite rendu compte que c’était le titre d’un film réalisé par Terence Young, que mon père avait produit dans les années 50 [parfois aussi appelé Tank Force ! en VO, et traduit en La Brigade des bérets noirs pour la VF] ! En fait, je n’étais pas si futée que ça. (Rires.) Mais ça rendait le titre No time to die d’autant plus spécial… Parce que quoi qu’on fasse, mon père [Albert R. Broccoli, producteur historique des seize premiers James Bond] est toujours présent dans ces films. C’est son héritage.

Que s’est-il vraiment passé avec Danny Boyle, qui devait au départ réaliser le film ? Et comment Cary Joji Fukunaga s’est-il imposé ?

BB : J’ai beaucoup de respect pour Danny Boyle. On a travaillé ensemble pendant un moment et on a fini par en venir à la conclusion qu’on ne voulait pas faire le même film. Nos idées étaient trop différente­s. On a géré cette séparation de façon très « adulte », et on est allés de l’avant. Il se trouve que j’avais déjà parlé avec Cary Fukunaga il y a des années. Il avait exprimé son envie de faire un film Bond. Comme il venait de terminer sa série Maniac, il était libre. Il a immédiatem­ent aimé l’histoire qu’on voulait raconter et a tenu à la développer, vu qu’il est également scénariste. On a tous adoré la façon dont il l’a abordée. Il avait une vision forte, ce qui est toujours la caractéris­tique principale d’un réalisateu­r de Bond. Et il avait des idées géniales pour les scènes d’action…

Et le futur de James Bond alors ? Certains estiment qu’il doit être un homme noir, d’autres qu’il doit être une femme… Où en êtes-vous de tout ça ?

DC : Eh, je ne suis pas encore tout à fait parti ! BB : (Rires.) Je crois qu’il doit rester un homme, je l’ai toujours dit. On doit imaginer d’autres histoires pour les femmes, des histoires sur des femmes, pour des femmes. Faire jouer à une femme le rôle d’un homme, ça ne m’intéresse pas. Mais sinon, je reste totalement ouverte sur l’acteur qui sera le prochain James Bond. La seule contrainte qu’on se fixe, c’est qu’il soit anglais ou du Commonweal­th. Mais là, je reste focalisée sur Mourir peut attendre. C’est un problème pour un autre jour.

C’est plié, vous n’arriverez pas à convaincre Daniel Craig d’en faire un autre ?

BB : Je crois qu’à ce sujet le film parlera de lui-même.

Donc mission accomplie, Daniel ?

DC : Oui. Indiscutab­lement. Écrivez-le, ça me semble bien : indiscutab­lement !

« JE CROIS QUE C’EST LA BONNE FAÇON DE PRENDRE CONGÉ. » DANIEL CRAIG

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Mourir peut attendre

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