Première

« IL Y A UN RISQUE DE PERDRE L’ÂME DE BOND »

Journalist­e et bondophile émérite, Frédéric-Albert Lévy réfléchit pour Première à la possibilit­é d’une série TV James Bond et à l’avenir de la franchise.

- u PAR FRANÇOIS LÉGER

La mode des séries est telle qu’une série James Bond n’est pas exclue, surtout après le rachat de MGM par Amazon. Rappelons qu’Ian Fleming, à la fin des années 50, avait entre autres proposé une série TV. Donc commercial­ement, pourquoi pas. Mais en tant que bondophile, ma réponse est non. Bond est déjà une série, la plus grande de toute l’histoire de l’audiovisue­l. Sauf qu’elle a besoin de tenir le public avec un peu d’attente entre chaque film. L’une des composante­s essentiell­es des aventures de Bond, c’est la potentiali­té de sa mort.

Et on ne peut marcher dans cette convention que si un certain temps s’écoule d’un film à l’autre. Si c’est une série que vous voyez en une après-midi, ce suspense disparaît. Par ailleurs, il y a une question économique : jamais une série ne pourra se permettre de mettre 200 ou 300 millions de dollars par épisode. Et le temps de préparatio­n et de confection d’un film Bond est d’environ trois ans. Impossible de plancher autant de temps sur un épisode ! Ou alors ce serait un Bond à prix réduit.

Et si vous avez à la fois les films au cinéma et un objet mi-chèvre mi-chou joué par un autre acteur sur petit écran, la franchise est dénaturée. D’ailleurs, je suis tout à fait opposé à ce qui se passe sous l’ère Daniel Craig. On est entré dans un arc narratif : Monsieur Bond est à la recherche de ses origines et veut savoir qui lui a volé sa tétine quand il était petit. (Rires.) On touche à l’essence même du personnage, à sa complexité : il faut qu’il ait une personnali­té propre, mais aussi qu’il ne soit qu’un numéro. Alors pourquoi pas une série sur un personnage secondaire ? À l’époque de Pierce Brosnan, il avait été question d’un spin-off avec Halle Berry. Et cela existe dans les livres, avec des romans sur Moneypenny. Mais peu de personnage­s secondaire­s ont assez d’épaisseur pour mériter une série.

L’autre souci, c’est que les films Bond permettent d’observer l’histoire du monde sur près de soixante ans : on voit évoluer les mentalités, le statut des femmes, la place des Noirs… Le propre d’une saison de série est d’être diffusée en une seule année. Impossible d’avoir le même regard sur la société qu’avec les films. Il faut s’inscrire dans le temps. Donc, à moins de faire durer la série sur des années… Et puis, jusqu’à présent, Barbara Broccoli et Michael G. Wilson entretienn­ent la flamme traditionn­elle, puisque ce sont les enfants de l’un des deux producteur­s initiaux. La force des Bond était de se situer dans un système de production énorme, mais géré par une entreprise familiale. Si une grande compagnie rachète et que les gardiens du temple s’éloignent… Il y a un risque de perdre l’âme de Bond. Concernant l’avenir, les paris des journaux anglais sur qui sera le prochain James Bond ne m’intéressen­t pas. Huit acteurs l’ont incarné, on sait que ça fonctionne. Est-ce que Bond pourrait changer d’acteur à chaque film ? Non et surtout parce que tous les acteurs qui ont joué Bond disent que ce n’est qu’à partir du deuxième long métrage qu’ils ont commencé à se sentir à l’aise. Donc il faut prévoir pour chaque acteur quatre ou cinq films. Pas plus : après ils deviennent trop vieux ! Je ne pense pas que Mourir peut attendre sera le dernier Bond. Mais reste à savoir s’il va marcher au box-office. Un potentiel échec ne serait pas forcément lié à ses qualités intrinsèqu­es, plutôt au contexte. »

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