Première

Le premier jour du reste de sa vie

Inconnue avant la présentati­on à Cannes de Julie (en 12 chapitres), la comédienne norvégienn­e en est repartie avec un prix d’interpréta­tion qui va forcément changer son destin.

- PAR THIERRY CHEZE

« JOACHIM CÉLÈBRE NOTRE GÉNÉRATION DE TRENTENAIR­ES. »

Renate Reinsve n’oubliera jamais le jour où Joachim Trier l’a appelée pour lui dire qu’il écrivait Julie (en 12 chapitres) pour elle. Car la veille, elle avait pris la décision d’arrêter sa carrière : « J’avais accès à trop peu de projets qui me comblaient. J’avais de moins en moins de plaisir à jouer. » Et ce, alors qu’elle avait pourtant su très tôt que ce métier serait le sien.

« Mon enfance a été douloureus­e. Mais l’école de théâtre pour enfants à côté de mon village a été une révélation ! Me glisser dans la peau de personnage­s me permettait de m’échapper du quotidien. J’étais une vraie nerd, passionnée par les oeuvres les plus noires du répertoire russe » , se souvient-elle en éclatant de rire. Sa timidité l’empêche un temps de formuler son désir pour ce métier, mais elle finira par intégrer l’École nationale norvégienn­e des arts du spectacle avant d’être primée pour sa compositio­n dans la pièce de Dürrenmatt, La Visite de la vieille dame.

Côté cinéma, les propositio­ns sont plus chiches. Une petite dizaine de films, dans des rôles secondaire­s.

Comment imaginer alors que dix ans après sa toute première scène tournée, dans Oslo, 31 août, celui qui lui avait donné sa chance la rappellera­it ? « J’ai d’ailleurs dû paraître étrange à Joachim. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. »

Même si durant toutes ces années, le lien entre l’actrice et le cinéaste ne s’est jamais rompu.

« Le tournage de ma scène chorale dans Oslo, 31 août avait duré neuf jours, donc on avait eu le temps de faire connaissan­ce. Et comme Oslo est une petite ville, on s’est souvent recroisés pour échanger sur la vie et l’amour. Car il se trouve qu’à chaque fois, nous vivions les mêmes galères dans nos vies. Je pense que c’est cette connexion naturelle qui lui a fait penser à moi pour écrire le personnage de Julie. »

Identifica­tion d’une femme

En effet, ce qui la frappe à la lecture du scénario, c’est à quel point ce personnage est proche d’elle. « J’étais un peu sceptique à l’idée qu’un homme raconte cette histoire de femme empêtrée dans ses amours, mais par son écriture précise, Joachim célèbre notre génération de trentenair­es, plus vraiment enfants et loin d’être adultes. C’est un film réconforta­nt pour tous les gens un peu à côté de la plaque comme moi. » Un film dont elle a nourri l’écriture de ses réflexions et pour lequel elle s’est préparée pendant quatre mois en lisant et relisant le scénario, pour vérifier qu’elle ne passait pas à côté d’un détail, et en cherchant comment devenir cette Julie. « J’ai expériment­é plusieurs versions d’elle. Joachim, lui, m’a parlé du personnage d’Annie Hall pour la lumière qu’elle devait dégager afin qu’on tombe instantané­ment amoureux d’elle. Mais à chaque fois, je revenais à mon idée initiale : être moi-même. » Le stress sera forcément là le premier jour de tournage. Comment faire autrement quand on n’a jamais porté un film sur ses épaules ? « On a commencé par une scène très compliquée. Et comme tout s’est bien passé, ça m’a donné confiance. D’autant plus que Joachim a compris ma manière de fonctionne­r : je n’ai pas besoin de discussion­s psychologi­ques avant une scène, juste de m’y jeter. » Le résultat a éclaté plein écran le 9 juillet lors de la projection cannoise du film, avec à la clé un prix d’interpréta­tion mérité. Sa compositio­n aussi renversant­e dans les moments de comédie que dans les instants de drame constitue désormais le meilleur des passeports.

m’offre à chaque fois la chance de revenir sur mes échecs et au final de mieux me comprendre. Je me sais incapable d’écrire un personnage dont je ne serais pas proche d’une manière ou d’une autre.

Ce lien avec vos personnage­s se ressent aussi dans le soin apporté à vos castings. On a le sentiment que ce qui vous passionne avant tout, c’est le travail avec les acteurs…

C’est juste. Ils sont au centre de tout. Sur un plateau, mon but est de les mettre dans les meilleures conditions possible. Chaque matin, par exemple, j’expliquais à mes technicien­s l’ambiance que je souhaitais créer et le comporteme­nt qu’ils devaient avoir avec Renate [Reinsve] pour qu’elle se sente au mieux, selon qu’elle ait à jouer des scènes ludiques ou déchirante­s. Mais ce travail avec les comédiens se construit dès les répétition­s où on échange sur les personnage­s et le ressenti des situations en partageant nos expérience­s personnell­es. Le scénario évolue au fil de ces échanges qui me permettent de préciser ce que je veux raconter. C’est un processus très fluide. Et ce jusqu’au montage. Car mon monteur Olivier Bugge Coutté a un oeil particuliè­rement affûté sur les comédiens et leurs performanc­es. Cela guide son travail, modifie le montage par le choix des prises. Donc jusqu’au bout du processus, les comédiens restent prioritair­es.

Vous avez beaucoup évolué dans votre comporteme­nt vis-à-vis d’eux ?

J’ai gagné en confiance. Je me suis retrouvé dans tellement de situations impossible­s que j’ai fini par me dire que plus grandchose ne pourrait m’inquiéter. Mais cette confiance se nourrit aussi de ce que j’ai appris d’eux. Chez moi, tout se joue aux premières discussion­s. J’ai besoin d’apprendre à connaître un comédien avant de l’engager. Si la connexion ne se fait pas, je n’arriverai pas à travailler correcteme­nt avec lui.

Qu’avez-vous appris d’Isabelle Huppert sur ?

Back Home Je ne connais pas d’actrice qui travaille plus qu’elle. Je n’ai eu avec personne d’autre des conversati­ons aussi profondes sur la dramaturgi­e avant le tournage pour qu’une fois sur le plateau, seul le jeu parle. C’est simple de travailler avec Isabelle car elle vous montre le chemin et sait exprimer clairement ce dont elle a besoin. Elle a vu vos films, connaît votre travail. Elle a une approche très généreuse de son métier, qu’on retrouve dans son regard incroyable sur les autres comédiens. Ainsi, alors que j’étais en train d’écrire Julie (en 12 chapitres), elle est venue à Oslo assister à une pièce de Bob Wilson et quand on s’est retrouvés le lendemain, elle m’a tout de suite parlé d’une comédienne qui lui avait tapé dans l’oeil. C’était Renate ! L’oeil d’Isabelle se trompe rarement.

Julie, c’était Renate Reinsve et personne d’autre ?

Oui, j’ai écrit le rôle pour elle. Renate a une audace et un courage hors du commun. Et, comme Julie, elle n’a aucun problème à montrer ses failles. D’ailleurs, si j’avais envie que ce film soit sélectionn­é à Cannes, c’est parce que j’étais sûr que le monde entier allait l’adorer. Sur le plateau, elle a été impression­nante. Dans les scènes d’émotion mais encore plus dans les moments lumineux, beaucoup plus complexes à jouer. Essayez de garder cette énergie enthousias­te censée émaner de vous toute une journée, je vous assure que ça n’a rien de simple !

« JE SUIS INCAPABLE D’ÉCRIRE UN PERSONNAGE DONT JE NE SERAIS PAS PROCHE. »

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Renate Reinsve sur le tournage
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Julie (en 12 chapitres)

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