EUGÉNIE GRANDET
Dugain s’empare de l’oeuvre de Balzac en signant une oeuvre féministe, tout en tenue et retenue, à l’image de la belle composition de Joséphine Japy.
Paru en 1834, Eugénie Grandet de Balzac évoque spontanément bien plus les riches heures de l’ORTF qu’un long métrage de 2021. Comment s’en emparer sans s’enferrer dans le piège de la reconstitution ? Comment lui apporter une modernité sans en trahir le sens ? À ces deux questions, Marc Dugain apporte des réponses plus que convaincantes. Dans la droite lignée de sa remarquable adaptation de L’Échange des princesses, il reste fidèle à ce qui constitue le coeur du récit – ce père prêt à tout sacrifier à son obsession pour l’argent y compris, et surtout, le bonheur de sa fille qu’il veut marier au meilleur parti possible – mais en décadrant quelque peu les choses. En tissant un lien entre la condition féminine d’alors et les combats féministes d’aujourd’hui. En donnant une voix plus forte à Eugénie Grandet, en la sortant de sa simple relation à son père, en racontant sa construction riche en désillusions (y compris et surtout envers ce cousin qu’elle aime éperdument) et une émancipation en retournant contre elle les règles de cette société patriarcale qui a voulu la briser. Mais il le fait sans forcer le trait, avec une mise en scène à l’austérité assumée pour mieux raconter l’infinie solitude d’Eugénie. Dans le rôle-titre, une comédienne magnifique dans sa manière de décrire ce feu intérieur qui dévore ce personnage (dans ses emballements du coeur comme dans les humiliations subies) sans que rien n’y paraisse : Joséphine Japy. Nulle place pour l’effet de manche. Dugain réussit son Eugénie Grandet parce qu’il en respecte toute l’ambiguïté avec une maîtrise jamais prise en défaut.