Première

FRANÇOIS RUFFIN « JE SUIS UN HOMME DE GUÉRILLA »

Le député de la France insoumise césarisé pour Merci patron ! sort son troisième documentai­re, coréalisé avec Gilles Perret, Debout les femmes ! L’occasion de voir si le cinéma est soluble dans la politique. Et inversemen­t.

- PAR THOMAS BAUREZ DEBOUT L ES F EMMES ! De François Ruffin & Gilles Perret • Durée 1 h 25 • Sortie 13 octobre • Critique page 106

PREMIÈRE : Quelle place occupe le cinéma dans votre engagement politique ?

FRANÇOIS RUFFIN :

Je crois beaucoup à la force de la représenta­tion. Je me considère d’ailleurs comme un représenta­nt, mon but est de donner à voir et à entendre la classe populaire. Le cinéma est un moyen formidable d’y parvenir, en touchant le plus de monde possible. Avec Gilles [Perret], notre idée de départ était de faire un film sur l’Assemblée nationale le temps de mon mandat de parlementa­ire, mais on a vite laissé tomber. Malgré son décorum et ses rituels, l’Assemblée est un lieu vide de pouvoir. Il ne s’y passe rien.

Il vous fallait donc du « drame »…

C’est, en effet, au moment où j’obtiens cette mission sur les métiers du lien que le film prend forme. Un aller-retour entre l’extérieur, c’est-à-dire le réel, et l’intérieur de l’Assemblée où tout est policé devient possible. Survient ensuite Bruno Bonnell, le député LREM que l’on m’adjoint. C’est mon exact opposé. Nous avons soudain Laurel et Hardy, Bud Spencer et Terence Hill… Bonnell, c’est le personnage que l’on va d’abord détester puis apprendre à aimer. Vous ajoutez à ça la crise de la Covid qui nous prend tous par surprise… C’est donc bien un récit qui porte le film.

Y a-t-il une différence entre le « personnage » que vous incarnez à l’écran et l’homme politique ?

Je ne sens pas tout un divorce entre ma personnali­té dans le privé et le public. À l’écran, je suis surtout un fil conducteur qui réfléchit à la façon de faire avancer la narration. Je sais déclencher les choses par une blague, un mouvement d’humeur… Mon but ici est surtout de faire exister Bruno Bonnell, c’est lui le protagonis­te. Je préfère d’ailleurs les plans où la caméra est par-dessus mon épaule et se substitue ainsi à mon regard plutôt que ceux où je suis devant l’objectif.

Pensez-vous que la classe populaire soit bien représenté­e dans le cinéma français ?

Je vais beaucoup moins au cinéma qu’avant, il m’est donc difficile de juger. Les moments où des figures populaires heurtent le discours dominant et permettent de s’écarter d’un réel lissé par les statistiqu­es sont quand même rares. Dans beaucoup de films, les choses apparaisse­nt trop fabriquées. J’ai beaucoup aimé récemment Nos batailles [Guillaume Senez, 2018], avec sa descriptio­n très juste de la tyrannie du travail façon Amazon. (Il marque une pause.) Je me souviens de Western de Manuel Poirier [1997]. Il arrive à un moment où la gauche est éteinte ; le film représente alors à l’écran une classe populaire totalement absente de l’espace public.

Dans le « petit monde » du cinéma, quelle place pensez-vous occuper ?

Je suis un homme de guérilla, menant des batailles sur le terrain avec ma petite équipe. Je suis fier d’avoir fait un film sur les Gilets jaunes, en prise directe avec le mouvement [ J’veux du soleil !, 2019] et aujourd’hui, Debout les femmes !, sur la crise liée à la pandémie.

Si vous étiez un héros de cinéma, lequel seriez-vous ?

James Stewart dans Mr. Smith au Sénat de Frank Capra [1939], qui lit l’annuaire pendant des heures au milieu de sénateurs endormis. Quand je présente des amendement­s à l’Assemblée, ça me rassure de penser à James Stewart, de me mythifier un peu. (Rires.) On devrait obliger les députés à voir le film de Capra avant leur entrée en fonctions.

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