Première

THE VELVET UNDERGROUN­D

Todd Haynes raconte l’histoire du groupe new-yorkais séminal dans un documentai­re nourri par le cinéma expériment­al des sixties. Élégant, mais un peu sage, étant donné le sujet.

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ET AUSSI 115 Cendrillon ; Minamata ; Georgetown 116 Tina ; Voyeurs ; Canicule ; Comme des proies 117 Demonic ; Land

C’est l’avalanche. Des documentai­res musicaux, partout, tout le temps. La plupart superbemen­t produits, riches d’archives précieuses, absolument indispensa­bles. On a ainsi vu ces derniers mois, ou on s’apprête à voir dans les prochains : un portrait de Billie Eilish, une série documentai­re sur l’année 1971 produite par Asif Kapadia, une évocation des Bee Gees par Frank Marshall, les Sparks selon Edgar Wright, le Summer of Soul de Questlove, un documentai­re sur le fiasco du Woodstock de 1999, un autre sur Led Zeppelin projeté à la Mostra de Venise, bientôt les trois épisodes de The Beatles : Get Back signés Peter Jackson… Il faut nourrir la bête du streaming, qui réclame toujours plus de « contenus ». Au milieu de ce déferlemen­t, un constat : les cinéastes les plus prestigieu­x sont en première ligne pour réaliser ces documentai­res, comme s’il était désormais inconcevab­le, pour un auteur d’un certain standing, de ne pas associer son nom à une légende de la musique. C’est bien sûr souvent d’eux dont parlent les grands réalisateu­rs à travers les musiciens qu’ils admirent – de leur pratique artistique ou de leur vision du monde. Comme Scorsese quand il brosse le portrait de George Harrison (l’homme spirituel aux prises avec le « monde matériel ») ou Edgar Wright celui des frères Mael (l’exubérance et l’humour comme armes pour défier le temps qui passe).

ASTRE NOIR. Todd Haynes, lui, a choisi le Velvet Undergroun­d. Son documentai­re vient s’ajouter à une filmo qui déborde de fictions consacrées à des musiciens, de Karen Carpenter (Superstar : the Karen Carpenter Story) à Bob Dylan (I’m not there) en passant par David Bowie (Velvet Goldmine). Haynes, qui travaille ces joursci à un biopic de Peggy Lee avec Michelle Williams, semble assumer son destin d’archiviste de l’histoire pop. Tourné pour Apple TV+, The Velvet Undergroun­d (titre qui a le mérite d’aller droit au but) raconte de façon linéaire la trajectoir­e de l’astre noir du rock sixties, de la jeunesse de ses membres à la dissolutio­n du groupe, puis à la postérité. Haynes a convié devant sa caméra les survivants du line-up originel (Moe Tucker et John Cale), ainsi que des proches, des témoins et des compagnons de route (de la soeur de Lou Reed à un fan très enthousias­te nommé Jonathan Richman).

KALÉIDOSCO­PE. Voici donc la légende du « souterrain de velours » : les personnali­tés si opposées de Lou Reed et John Cale, l’apport décisif d’Andy Warhol, la voix de Nico, l’album à la banane, New York, l’héroïne, le SM, la poésie, les disputes, les chansons vénéneuses et la haine des hippies. Pour compenser le peu d’archives disponible­s du Velvet sur scène ou en studio, Haynes a conçu son film comme un vaste kaléidosco­pe d’images, souvent montées en splitscree­n (extraits de films, d’émissions télé, de photos, etc.), un très élégant tissu visuel qui évoque le ciné expériment­al des sixties (de Kenneth Anger à Jonas Mekas) et crée parfois des effets poétiques saisissant­s – par exemple quand on voit, pendant le récit de l’enfance des musiciens, des gros plans d’eux en noir et blanc, filmés par Warhol, où ils fixent longuement la caméra, en silence. Au fil de ce film paradoxale­ment un peu sage (étant donné la nature sulfureuse de son sujet), sans doute trop « officiel » pour être vraiment renversant, Todd Haynes raconte aussi l’origine de son cinéma, ses films ayant émergé du même bain culturel que le Velvet Undergroun­d : le rejet de la société de consommati­on, l’homosexual­ité comme rébellion contre la culture dominante, l’art comme seule échappatoi­re. On ne les voit pas mais ils sont là : les personnage­s des films de Todd Haynes, se promenant de façon subliminal­e à l’arrière-plan de ce magma d’images.

REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Nico,1988 (2017), VelvetGold­mine (1998), ScorpioRis­ing (1963)

Pays États-Unis • De Todd Haynes • Documentai­re • Durée 2 h 01 • Disponible le 15 octobre

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Paul Morrissey, Andy Warhol et Lou Reed

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