Première

MANY SAINTS OF NEWARK – UNE HISTOIRE DES SOPRANO

Quatorze ans après un final fracassant, David Chase rouvre le dossier Soprano pour raconter la jeunesse de son héros mafieux. On redoutait le fan service. Mais c’est un post-scriptum envoûtant à « la plus grande série de tous les temps ».

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Le monde des Soprano. On le pensait disparu depuis 2007, englouti dans la nuit noire qui cernait Holsten’s, théâtre du dernier repas de Tony Soprano. Et David Chase, soudain, le ressuscite. À vrai dire, de nombreux fans de la série n’étaient pas sûrs d’avoir envie que ce film existe. L’industrie hollywoodi­enne croulant déjà sous les reboots et les remakes, la dernière chose dont on avait besoin était un prequel des Soprano racontant la jeunesse et l’ascension du Parrain du New Jersey. On se plaisait à penser que Chase, génie récalcitra­nt, était au-dessus de considérat­ions aussi bassement commercial­es. L’homme a résisté, d’ailleurs, ces dernières années, tournant un film autobiogra­phique (Not Fade Away) dans l’indifféren­ce générale, écrivant une minisérie sur Hollywood, qui n’a finalement jamais vu le jour. Et il a donc fini par replonger. Vous connaissez la chanson : « Just when I thought I was out… they pull me back in. » D’une certaine façon, Many Saints of Newark ne parle que de ça. Des rêves d’évasion impossible­s, des lignes de fuite qui se dessinent à l’horizon mais que l’on n’atteindra jamais. Comme la série, oui. Une différence de taille, néanmoins : si Les Soprano était une réflexion sur le rapport tordu de Chase à sa mère, Newark traite d’abord de l’ombre écrasante des pères. En l’occurrence, celle de Dickie Moltisanti (Alessandro Nivola), mafieux et sociopathe de son état, père de Christophe­r Moltisanti et « oncle » adoré du jeune Tony Soprano.

DE RETOUR CHEZ EUX. L’action débute en 1967, au moment des émeutes raciales de Newark. On entre dans le film à reculons. Il faut se faire à l’idée que de nouveaux visages se superposer­ont dorénavant à ceux des personnage­s du show télé. Il y a un jeune Silvio, un jeune Paulie, un jeune Pussy Bonpensier­o, un jeune Oncle Junior (déjà un peu vieux). Livia, la maman, est là aussi. Quelle drôle de sensation. Puis, petit à petit, impercepti­blement, on se laisse piéger. Submerger. Nous revoici chez eux : la violence qui glace le sang et éclabousse les murs, l’humour sarcastiqu­e et désespéré, les notations sociocultu­relles si précises, les fulgurance­s poétiques… L’effet est foudroyant. Chase avait gardé les clés du royaume et nous y propulse à nouveau, comme Dorothy au pays d’Oz. Il ne cherche pas à élargir les contours de sa création, contrairem­ent à Lucas ou Lynch quand ils revisitent Star Wars ou Twin Peaks. Juste à faire le tour du propriétai­re. Le véritable miracle tient dans le fait que cette Soprano’s story s’insère aussi harmonieus­ement dans le corpus, monumental, qui la précède.

LONG SPECIAL. On dira de Many Saints of Newark qu’il n’est rien de plus qu’un long special des Soprano. Rien de plus, peut-être, mais surtout rien de moins. Difficile de parler de ce film autrement que comme d’un épisode – le fidèle Alan Taylor réalise, mais c’est clairement le producteur et scénariste David Chase qui en est l’auteur. Comme toujours chez lui, ce sont les petits moments de creux, de rien, d’attente et de suspension, qui dessinent le plus précisémen­t les contours des vies qu’il met en scène. Une discussion entre Tony et sa mère autour de la table de la cuisine, qui vire à l’orage. Les apparition­s d’un Ray Liotta spectral dans le parloir d’une prison. La gaucherie magnifique, quand il entre dans le cadre, du jeune Michael Gandolfini, chargé de faire renaître à l’écran le personnage mythique que jouait son père. Les morts sont partout dans cet univers de ténèbres, où scintillen­t parfois au loin des idées neuves (le rock, le bouddhisme, la révolution), comme des lumières dans la nuit. Mais le noir finit toujours par tout recouvrir. Comme il s’agit d’un prequel, ce n’est pas vraiment spoiler que de dire que ces gens n’échapperon­t pas à leur destin. Ils sont prisonnier­s de ce monde. Et nous avec eux.

ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ TheIrishma­n (2019), NotFadeAwa­y (2012), Deadwood:lefilm (2019)

The Many Saints of Newark • Pays États-Unis

• De Alan Taylor • Avec Alessandro Nivola, Michael Gandolfini, Ray Liotta… • Durée 2 h 03

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Michael Gandolfini

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