HENRY, PORTRAIT D’UN SERIAL KILLER
Poisseux et dérangeant, ce thriller de l’Américain John McNaughton, né dans la fange du cinéma, reste encore aujourd’hui la matrice du film de serial killer. Il débarque en Blu-ray dans une version restaurée qui a volontairement gardé son image granuleuse.
Au cinéma tout est peu ou prou affaire de distance et notamment celle que la mise en scène installe entre l’objet filmé et le spectateur. Un film d’horreur mesure souvent son efficacité à son processus d’immersion. Plus rien ne fait écran entre le mal et nous, une brèche s’ouvre et c’est le gouffre, l’angoisse absolue. Lorsqu’à la fin de Psychose (1960), Hitchcock décide, dans un geste insensé, de donner la parole en voix off à Norman Bates, le monstre prend totalement possession du film. Cette omniscience brutale reste l’un des moments les plus traumatiques de l’histoire du cinéma et va, on le sait, ouvrir la porte à tout un cinéma de genre cherchant plus ou moins à recréer ce malaise originel. En 1986, quand surgit de la fange du cinéma Henry, portrait d’un serial killer, la télévision a depuis belle lurette redéfini le régime des images. Les caméras vidéo plus légères malaxent le réel en l’exhibant à outrance. Les écrans sont partout. C’est le début d’une contamination et d’une circulation accélérée du visuel qui va s’intensifier jusqu’à aboutir à notre orgie actuelle. Henry est en cela un film-symptôme, un quasi manifeste dans sa façon de mettre en abîme le regard du spectateur-voyeur et du protagoniste luimême, qui filme ses crimes pour mieux en jouir à loisir devant sa télé.
FASCINATION- RÉPULSION. Henry, portrait d’un serial killer débute par une série d’images quasi photographiques de corps souillés, présences effrayantes dans un cadre muet. La caméra perverse procède par de lents dévoilements. C’est un visage a priori endormi qui révèle par un travelling arrière ses blessures mortelles, des draps ensanglantés qui invitent la caméra à chercher dans la pièce voisine le cadavre mutilé… Ces visions obscènes disent déjà tout de l’entreprise où fascination et répulsion s’interpénètrent. L’horreur ainsi mise en scène n’a que faire de la morale supposée des mouvements de caméra (au diable le travelling de Kapò !). Henry (le mutique et magnétique Michael Rooker), est un être froid, sans conscience, qui embarque avec lui des complices devenus disciples… La texture faussement documentaire de la mise en scène, tout comme son aspect abrasif – la présente restauration ne cherche pas à atténuer le grain d’une image volontairement poisseuse – rappelle bien sûr Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1974), et plus encore Schizophrenia de l’Autrichien Gerald Kargl, tourné trois ans auparavant. 1986, c’est aussi l’année du Sixième Sens de Michael Mann qui, dans un registre plus stylisé et graphique, est travaillé par les mêmes questions de représentation du mal.
MAUVAIS GARÇON. Tourné avec seulement 100 000 dollars à destination du marché vidéo avant d’être finalement exploité en salles en 1990, Henry, portrait d’un serial killer s’inspire du vrai criminel Henry Lee Lucas (1936-2001), maniaque sexuel et matricide qui se vanta d’avoir tué près de 300 personnes. C’est aussi le premier long métrage de fiction de John McNaughton, ex-étudiant des Beaux-Arts passé par la télévision et le documentaire à qui l’on doit notamment le néo-noir Mad Dog and Glory (1993) et l’un des thrillers les plus hot des années 90, Sexcrimes. Le cinéaste revient dans les bonus de cette riche édition sur son parcours et la genèse de Henry, portrait d’un serial killer ainsi que sur sa volonté farouche « de faire un film d’horreur différent des autres ». Un film où le mal vous regarde dans le blanc des yeux. Trente-cinq ans après les faits, le mauvais garçon ne cherche toujours pas à plaire. u