DÉCISION À SUNDOWN
Au mitan des fifties, l’Américain Budd Boetticher tourne sept westerns avec Randolph Scott en vengeur impitoyable, dont cette splendeur tout en ligne claire, injustement méprisée par son auteur et ses thuriféraires. Il est grand temps de réhabiliter la merveille.
Je viens de le revoir deux fois pour m’en faire une idée. Le film est terne. Rien de très enthousiasmant », explique, lapidaire, le regretté Bertrand Tavernier dans les bonus de Décision à Sundown (1957), un des sept westerns que Budd Boetticher tourna avec Randolph Scott. Un jugement qui fait écho aux propos tenus par Boetticher luimême dans les colonnes de la revue Positif à la fin des années 60 où officiait alors le jeune Tavernier : « Je ne l’aime pas du tout… Il est trop statique et bavard. » À ce niveau-là de détestation, on ne parle plus de crépuscule mais de ténèbres. Pourquoi alors s’intéresser aujourd’hui à ce canard boiteux plutôt qu’à La Chevauchée de la vengeance ( Ride Lonesome, 1959) qui sort lui aussi en combo DVD/ Blu-ray ce mois-ci, et dont à peu près tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un des meilleurs titres du fameux septet ? Parce que c’est un très bon film à la complexité masquée sous un canevas sec et minimaliste. Qu’on vous rassure d’emblée, si un cinéphile normalement infatué préférera toujours avoir raison contre tout le monde qu’être écrasé sous le poids de l’évidence, foin de coquetterie de ce genre ici. Chaque vision de Décision à Sundown (que les cinéphiles français connaissent aussi sous le titre Le vengeur agit au crépuscule) le dépouille de ses artifices pas toujours solides (scénario elliptique, personnages mal dégrossis, psychologie de façade…), pour dévoiler une ligne claire dont la limpidité tient du tour de force stylistique. Enthousiasmant, assurément.
BASSESSES ET RÉSIGNATIONS. Un mot d’abord du climat général. Boetticher (1916-2001), petit maître très bien né, reste aujourd’hui encore caché à l’ombre des grands chênes du genre ( Ford, Hawks, Walsh, Mann…). L’homme n’a jamais cherché l’emphase, scrutant à l’aide d’une mise en scène épurée jusqu’à l’os l’image qui les résumerait toutes. Ainsi, les sept longs métrages tournés entre 1956 et 1960 avec Scott sont les variations Goldberg du western, soit une succession de petites pièces reposant sur une même structure et se déclinant à l’envi. Randolph Scott et son « visage de pierre » poursuit inlassablement, de film en film, les assassins de sa femme. Ceci posé, Budd peut creuser. Décision, troisième chapitre du grand oeuvre, se démarque d’abord par son caractère urbain, tous les autres ayant pour toile de fond les plaines rocailleuses de Lone Pine. Ce n’est pas non plus le fidèle Burt Kennedy au scénario, mais Charles Lang. En 1 h 17 (douche comprise !), le film met à nu toutes les bassesses et résignations d’une petite ville de l’Ouest réduite ici à un théâtre de l’absurde en miniature. Les pantins qui composent la population, couchés sous le poids des habitudes, vont se faire remonter les ficelles par un Randolph Scott pourtant résigné.
ÉCRANS DE FUMÉE. Scott est Bart Allison, un solitaire qui vient enfin de retrouver la trace de Tate Kinsbrough, responsable de la mort de sa femme. Celui-ci s’apprête justement à se marier avec la belle et riche du coin. Toute la communauté endimanchée vient faire des courbettes à ce notable tout puissant. Bart s’oppose logiquement à la divine idylle et finit retranché dans une grange, seul contre tous. Au centre des débats, la population mélangée dans un saloon picole et s’écharpe en attendant le crépuscule. De la rue principale soudain vide, le ton monte et dans un tour de passepasse dramatique tous les rôles vont bientôt être plus ou moins redistribués, désamorçant le climax. La preuve que les certitudes sont comme tout le reste, des écrans de fumée. Le vengeur mérite de ressortir de l’ombre. u