Entre ici, OUATIH
En projetant, début janvier, une mirifique copie 70 mm de Once upon a time… in Hollywood, la Cinémathèque entérinait la dimension mythique du dernier Tarantino.
N’en fait-on pas un tout petit peu trop avec Once upon a time… in Hollywood ? Désolé, mais ce film est un puits sans fond. On y retourne sans cesse, aimanté par sa nature de hang- out movie sans intrigue, invitant à glander avec ses personnages. Tarantino lui-même semble avoir du mal à en sortir : il en a publié la novélisation, il en cause dans des podcasts, dans une sorte de tournée promotionnelle sans fin. Peut-il dépasser OUATIH ? Comment réfléchir à son prochain film, censé être son dernier, quand celui-ci a déjà des airs de testament ? C’est la question que posait le directeur de la programmation de la Cinémathèque, Jean-François Rauger, le 3 janvier dernier, en préambule de la projection du film en 70 mm – la première du genre en France. D’entrée de jeu, Rauger confessa qu’il avait déjà vu le film « une vingtaine de fois ». Après la séance, le micro circulait parmi les spectateurs. « Bonsoir, j’ai vu le film douze fois et je me posais une question… » Bienvenue chez les zinzins de Hollywood. Et dire qu’on pensait être obsédé…
Classique du cinéma
Pour le fan-club, cette projection-là restera dans les annales. Tarantino avait envisagé tourner OUATIH en 70 mm, comme Les Huit Salopards, mais son chef op Robert Richardson lui avait expliqué que le 35 mm était quand même plus pratique pour les zooms – et QT voulait zoomer. La copie 70 mm en question est donc une copie 35 « gonflée ». Sur le grand écran de la salle Henri Langlois, elle offre l’occasion de se perdre dans la contemplation d’une infinité de détails – luxe non négligeable pour les fétichistes qui composent l’assemblée. Les gros plans sur les visages de Brad Pitt, Leo DiCaprio et Margot Robbie font le même effet que l’immense peinture murale de James Dean dans Géant qu’on aperçoit au début du film. On est au mont Rushmore. On se promène dans le film comme dans un musée de pop art, comme Vincent Vega dans le Jack Rabbit Slim’s de Pulp Fiction, quand il hallucine sur les serveurs lookés comme Buddy Holly et les affiches vintage. Même pas besoin d’héroïne dans les veines pour tripper. L’héroïne, c’est le film. Ce soir-là, pour la première fois sans doute, on se prosterne devant OUATIH comme devant un classique du cinéma. Il faut dire que, depuis sa sortie en 2019, une couche supplémentaire de mélancolie est venue l’envelopper. On ne peut par exemple plus regarder la séquence « Out of Time » (vous savez, quand s’allument au crépuscule les enseignes des restaurants et cinémas de
Los Angeles), sans avoir une pensée pour le Cinerama Dome, vieux temple sixties flingué par l’épidémie de Covid – pour lui, les lumières ne se sont pas rallumées. De 1969 à 2019, c’est la même fébrilité de l’industrie en mutation qui se rejoue, le même romantisme des mondes qui meurent et de la dernière frontière. Et 2019 restera elle aussi comme une borne historique. Souvenez-vous : c’était avant le shutdown, l’année du triomphe d’Avengers : Endgame et de l’arrivée de Scorsese sur Netflix, du phénomène Joker et de la Palme d’or à Parasite, d’un Cannes grand cru conclu par un happening ciné légendaire (Mektoub, my love : Intermezzo), l’année de ce Tarantino magique… C’était il y a trois ans. Une éternité.