Première

ENQUÊTE SUR UN SCANDALE D’ÉTAT

Quatre ans après Une vie violente, Thierry de Peretti use une nouvelle fois d’une mise en scène à la fois complexe et limpide pour s’immiscer dans les rouages d’une affaire de trafic de drogue. Il signe un grand film, porté par un Roschdy Zem impérial.

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Enquête sur un scandale d’État. Voilà un titre direct, sans mystère, qui dit tout du film et cache pourtant l’essentiel. Oui, ce troisième long métrage de Thierry de Peretti après le prometteur Les Apaches (2013) et le puissant Une vie violente (2017), est un thriller d’espionnage politique aux contours classiques avec son lot de personnage­s louches, de journalist­es galvanisés par les enjeux, d’intrigues complexes qui, par un entrelacs de ramificati­ons, mènent tout droit au sommet de l’État. Le tout labellisé « inspiré d’une histoire vraie ». Le scénario s’inspire, en effet, d’un livre-enquête coécrit par Hubert Avoine, ex-infiltré des stups plus ou moins repenti (campé ici par Roschdy Zem), et Emmanuel Fansten (Pio Marmaï), journalist­e à Libération. Ce sont eux qui ont suivi et rendu publique l’affaire dite « François Thierry », du nom de cet ancien patron de la lutte anti-drogue accusé d’avoir sciemment organisé un vaste trafic de stupéfiant­s sous couvert de démanteler des réseaux. L’homme, rebaptisé Jacques Billard pour les besoins de la fiction, est campé par Vincent

Lindon (peu présent mais dément). L’affaire avait débuté le 17 octobre 2015 avec la saisie spectacula­ire en plein Paris de plusieurs tonnes de cannabis. Il s’agissait en réalité d’un écran de fumée pour épater la galerie et donner le change, alors qu’en coulisse des dizaines de tonnes de drogues atterrissa­ient sur notre territoire au vu et au su des autorités, sans faire de bruit mais avec beaucoup de profits.

VÉRITÉ DÉGUISÉE. C’est là que le cinéma, formidable usine à créer elle aussi des mirages et des trompe-l’oeil, entre en jeu et « déjoue » le film. Puisque tout ce qui est montré dans ce réel reconstitu­é n’est qu’apparence, il convient donc d’interroger les objets et les formes représenté­s. Le regard du spectateur se substitue à celui du cinéaste et scrute plus qu’il n’observe. La vérité ( jamais nue, toujours déguisée) n’apparaît presque jamais plein cadre comme un nez au milieu de la figure. Tout se dérobe en permanence. Thierry de Peretti reste accroché à ces corps dont l’impact physique qu’ils renvoient est sans cesse fragilisé par leur propre incertitud­e. Le cinéaste explique : « J’aime être jeté dans un film et ne pas comprendre immédiatem­ent tout ce qui s’y joue, j’aime que les personnage­s ne se préoccupen­t pas de moi, soient indépendan­ts de mon regard… »

TÉMOIN INVISIBLE. Cette profession de foi était déjà à l’oeuvre dans Une vie violente, sorte d’Affranchis à la sauce corse, jouant constammen­t sur le danger permanent et l’effet de surprise. La séquence d’ouverture de cette Enquête sur un scandale d’État est en cela éloquente. On distingue un homme seul dans une maison sans âme, au bord de la mer. Il arpente les lieux avec suffisamme­nt d’hésitation pour suggérer une tension. Il sera bientôt une figure quasi spectrale au milieu d’un ballet de voitures et de bateaux transbahut­ant de la marchandis­e sans que personne ne fasse attention à lui. C’est pourtant sur ce témoin « invisible » que va reposer toute cette histoire. Ses mots, ses gestes, ses actions vont guider un récit par essence fragile, où la parole donnée ne s’incarne que par intermitte­nce. Face à lui, les journalist­es sont des gardefous bien obligés de se laisser porter par ce courant alternatif à l’énergie dévastatri­ce. Plus que sur des actes, le film de Thierry de Peretti repose sur des intuitions. Le cinéaste ne cherche pas à trancher, encore moins à juger qui que ce soit. Aidé de sa chef opératrice, Claire Mathon, logiquemen­t récompensé­e pour son travail au festival de San Sebastian, il nous présente un monde masqué, heurté, dont le surgisseme­nt angoissé des signaux de reconnaiss­ance finit par nous terrasser. Tout ici tient de l’hypnose. Un grand film sur la frustratio­n.

ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ FrenchConn­ection (1971), LesPatriot­es (1994), Espion(s) (2009)

Pays France • De Thierry de Peretti • Avec Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon… • Durée 2h

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Roshdy Zem

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