Première

Bela Bajaria, maire du village global

Nouvelle grande patronne de la branche télé de Netflix, Bela Bajaria est devenue le symbole d’un monde où l’entertainm­ent, pour être rentable, ne se pense qu’à l’échelle globale.

- U PAR ROMAIN THORAL

Àla toute fin de l’été dernier, Cindy Holland, cheffe du service « télé en langue anglaise », a quitté les bureaux de Netflix et toute l’industrie s’accorda sur l’idée que cela marquait la fin d’une époque. Personne en revanche ne sut dire si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Employée depuis 2002, à une époque où Netflix envoyait encore des DVD par courrier à ses abonnés, elle était celle qui avait apporté à la plateforme ses premiers hits, comme House of Cards, Orange is the new black, The Crown ou Stranger Things. C’était aussi celle qui avait séduit, à grands coups de chèques en blanc, des showrunner­s stars comme Shonda Rhimes ou Ryan Murphy. Le symbole d’une ère où Netflix était en position d’outsider, cherchant constammen­t à faire des « coups » et de la drague aux abonnés HBO et Showtime. Une autre époque, indéniable­ment.

Création de poste

Le départ (forcé) de Cindy Holland raconte une vision plus globale de l’industrie du divertisse­ment, et l’obsolescen­ce d’un poste, le sien, dévoué uniquement à la production anglo-saxonne. Netflix ne veut plus faire de distingo : plus besoin d’une cheffe de la télé « en langue anglaise » et d’une cheffe de la télé « pour le reste du monde » : la plateforme vise l’esperanto industriel. Les Américains sont donc devenus des abonnés comme les autres, surtout, ils ont adoré Lupin, Fauda ou La Casa de papel. Le reste du monde aussi, d’ailleurs. Juste en dessous du directeur des programmes Ted Sarandos, on retrouve désormais un chef de la branche ciné, Scott Stuber, et une cheffe de la branche télé,

Bela Bajaria, qui avait rejoint la société en 2016. Ex-patronne de la division « télé internatio­nale » chez Netflix, elle a donc été préférée à l’historique Cindy Holland pour chapeauter ce gigantesqu­e pôle de divertisse­ment, allant de la real-TV indienne à de la sitcom suédoise. Rassurez-vous, elle a beaucoup d’adjoints.

Le nouveau monde

Cette promotion a coïncidé, à quelques semaines près, avec la mise en ligne de Squid Game, projet développé en interne par les équipes de Bajaria, et dont le triomphe venait à la fois souligner la pertinence du nouvel organigram­me et la nouvelle obsession du studio pour le marché mondial. Bejaria incarne avec d’autant plus d’évidence ce nouveau monde, nettement moins wasp et beaucoup moins obsédé par la culture anglosaxon­ne, qu’elle est elle-même d’origine indienne (elle a d’ailleurs gagné le trophée de Miss India USA en 1991 !). Appuyant toute sa méthode de management sur le « think global », elle aurait, paraît-il, proscrit à ses équipes l’utilisatio­n du mot « internatio­nal », pour ne pas mettre de frontières entre le contenu américain et le reste. Le toujours très informé Matt Belloni l’écrivait il y a peu : « La hiérarchie des plateforme­s se bâtira grâce au contenu “global” qu’elles sauront proposer. Un visage incarne cette nouvelle donne : celui de Bela Bajaria. » Pour une fois, ce n’est pas une image : le monde lui appartient.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France