Penn à perpétuité
En 2002, Amir Naderi, cinéaste iranien, s’installe chez le réalisateur de Bonnie & Clyde pour passer sa filmo au crible. Vingt ans plus tard, ces six heures (!) d’interview complètement bordéliques sont enfin éditées ici. Miam, miam ?
Cest un pavé dans une mare cinéphile dont les remous ne devraient toutefois pas déranger le sommeil des têtards et des grenouilles. Pourtant, six heures d’Arthur Penn devraient mettre en joie même les moins curieux d’entre nous. Car il s’agit bien ici d’un entre-soi, d’un face-à-face qui n’avait pas forcément vocation à se retrouver sur nos (petits) écrans. Le voici édité en double DVD, chapitré façon puzzle. C’est bordélique, digressif au possible, et totalement passionnant. En 2002, Amir Naderi, cinéaste iranien (Le Coureur), débarque chez Arthur Penn, 80 ans, avec sa petite caméra, l’installe dans un fauteuil et parle à bâtons rompus avec le réalisateur du Gaucher, La Poursuite impitoyable, Bonnie & Clyde… À l’époque, Naderi n’est pas totalement fluent en anglais, il s’en excuse, mais ça ne l’empêche pas d’interrompre à tout va son interlocuteur, obligé de mettre certaines anecdotes entre parenthèses. « Je sautais sur les réponses de Penn, j’étais trop excité », confesse-t-il tout penaud aujourd’hui. Et de fait, on réalise tout au long de l’entretien que l’un des inventeurs de l’ultraviolence au cinéma était vraiment une crème…
Traverser le miroir
Si l’interviewer s’excite un peu trop, c’est parce qu’il veut tout savoir de celui qu’il considère comme l’un des plus grands cinéastes américains. L’Iranien va d’ailleurs se montrer intarissable. Il a appris les plans par coeur, les noms de tous les techniciens, fait des ponts entre les films… Le discret Penn est en confiance. Il commence logiquement par raconter son enfance ballottée entre une mère absente, un père dilettante et un frère – Irving, le futur grand photographe – dont il n’est pas encore très proche… Une enfance façon Tom Sawyer, où surnage un amour naissant pour les femmes. Hors champ, Naderi trépigne sur sa chaise, balance des « Oh, my god ! ». Les femmes, il a justement envie d’en parler. Orson Welles n’a-til pas dit de Penn qu’il était « le réalisateur qui les a le mieux filmées » ? On apprendra que la fameuse tuerie à la fin de Bonnie & Clyde a été pensée comme une séquence d’amour. Il sera aussi question du puritain Wyler, de la décontraction de Hawks, des scènes d’action chez Ford, du rythme chez Kurosawa, de la démesure fellinienne, de la Nouvelle Vague… Derrière chacun des thèmes ( joie du chapitrage !), Penn se cache à peine. Tout le ramène en effet à sa manière d’envisager le cinéma et de la faire rejaillir à l’écran. « Malheureusement, les films sérieux n’ont plus vraiment leur place à Hollywood… », conclut-il tristoune. « True, true… », éructe Naderi qui ose enfin traverser le miroir et se mettre dans le cadre à côté de son idole. On ne parlait pas encore de selfie, mais l’idée y est. Générique. La mare a retrouvé son calme.
Les grenouilles et les têtards feraient bien de se réveiller.
MISE EN SCÈNEWITH ARTHUR PENN ( UNE CONVERSATION)
• De Amir Naderi • Éditeur Rimini • En DVD