Des mots de Minuit
En exhumant un numéro jamais paru, et complètement fantasmatique, de la très culte revue Midi-Minuit Fantastique, le journaliste Nicolas Stanzick floute un peu plus les frontières entre amour du cinéma et amour de la presse cinéma.
Un peu moins de dix ans plus tard, « L’inté- Graal », comme ils l’appellent, de la revue Midi- Minuit Fantastique (26 numéros entre 1962 et 1973), est enfin là, luxueusement republiée et généreusement upgradée par feu Michel Caen, son fondateur, ainsi que le valeureux Nicolas Stanzick, journaliste essayiste, et son éditeur Rouge Profond. Arrivé dans les librairies à la fin de l’année 2021, ce tout dernier volet vient donc compléter les trois autres grimoires et le tout forme désormais une sorte d’encyclopédie stupéfiante de l’âge d’or du cinéma bis qui tutoie les 2 500 pages et la douzaine de kilos. C’est par ailleurs un témoignage précieux d’une époque où l’on savait intuitivement que ces choses-là (les goules, les gros singes, la Transylvanie et les starlettes topless) étaient aussi déterminantes que très marrantes – et vice versa bien sûr.
Conçu par des jeunes gens qui avaient autant de style que d’érudition, MMF était donc à la fois l’ancêtre de tous les fanzines ciné hexagonaux (complétiste, en marge, turbulent) en même temps que son négatif absolu (curieux, ouvert, soigné). De fait, le magazine a occupé dans l’histoire de la presse française une position extrêmement particulière, que seuls Starfix et la revue HK ont su s’adjuger par la suite – les deux publications étaient pilotées par Christophe Gans et ça ne doit pas être une coïncidence. C’est tout le paradoxe de MMF : très influent, très culte, très cité, mais finalement très peu d’héritiers.
Prouesse d’archiviste
À l’intérieur de ce volume 4 il est donc, comme toujours, autant question d’amour pour le cinéma qui tache que d’obsession pour les beaux articles bien illustrés. Et rien ne raconte mieux cela que l’exhumation spectaculaire du numéro (double) 25/26. Soit la toute dernière édition de la revue, prévue pour l’été 73, jamais sortie en kiosques, jamais imprimée, et qu’on disait égarée pour de bon. Elle a finalement été recréée façon créature de Frankenstein par un Nicolas Stanzick devenu, en une décennie, l’ultime savant fou du labo MMF. On y lit quelques prophéties stupéfiantes (notamment sur l’essor du cinéma HK) et un texte splendide sur Tarzan ; on y tombe sur une rencontre tordante avec Paul Morissey (« L’avant-garde, c’est une éternelle répétition ») et une exégèse décontractée de la filmo de Russ Meyer. Sa publication inespérée relève autant du geste artistique que de la prouesse d’archiviste (Stanzick a dû combler quelques trous, fantasmer une icono, rapatrier des textes parus dans d’autres revues). Tomber là-dessus avec les mains moites, c’est aimer le cinéma ou la presse, alors ? Stupeur : au lieu de se conclure sur une note passablement mélancolique et l’enfouissement d’un monde, cette Inté- Graal vient convoquer quelque chose d’assez joyeux à propos de la cinéphilie et sa manière de rattacher, parfois, le souvenir d’un film avec celui d’un article ou d’une revue, jusqu’à ce qu’ils deviennent indissociables. Et c’est dans cette vue de l’esprit que Midi-Minuit Fantastique a trouvé, in fine, sa part d’éternité.
MIDI- MINUI T FANTAST IQUE VOLUME 4 • Éditeur Rouge Profond