Première

Le péril Alerte rouge

C’est désormais routinier : le dernier Pixar n’est pas sorti en salles et s’est présenté au monde comme une exclusivit­é Disney+. Le studio, qui fut autrefois un label de qualité, serait-il devenu un débit de divertisse­ments pour salons ? u

- PAR ROMAIN THORAL

Pas le temps de se la couler douce du côté d’Emeryville : Alerte rouge est la quatrième production Pixar depuis En avant et le printemps 2020. Dans quelques semaines, aux alentours du mois de juin, Buzz l’Éclair deviendra donc le cinquième long métrage proposé par le studio à la lampe en un peu moins de deux ans et demi. Pas le genre de Première d’avoir un avis sur les cadences de production des grandes firmes américaine­s, laissons ça à Twitter, mais il semble néanmoins important de rappeler qu’il fut une époque, pas si lointaine, où le studio pouvait se permettre d’attendre jusqu’à deux ans entre deux films ( Monstres Academy est sorti à l’été 2013, Vice-versa a déboulé pour les beaux jours de 2015). Comme partout, la crise du Covid a donné évidemment lieu à une sensation de télescopag­e ( Soul était prévu pour juin 2020, il est finalement apparu en octobre). Il n’empêche que la différence notable entre l’ère John Lasseter (remercié fin 2018) et celle de Pete Docter (nommé dans la foulée) tient précisémen­t à ce train d’enfer, assez inédit pour un studio d’animation.

C’est évidemment le corollaire de la naissance de Disney+, et de ce moment où Pixar est devenu l’un des cinq « univers » de la plateforme. C’est-à-dire une chaîne thématique au même titre que National Geographic. Et puisqu’il faut bien remplir les tuyaux, pardon les « univers », Alerte rouge, imaginé pour les salles, est finalement allé s’échouer, comme Soul et Luca avant lui, sur nos téléviseur­s (héros d’une franchise tout à fait lucrative, Buzz l’Éclair connaîtra probableme­nt une trajectoir­e plus prestigieu­se).

Cette rétrograda­tion, annoncée par Disney à moins de deux mois de la sortie du film, aurait beaucoup agacé du côté d’Emeryville, et plongé le studio dans le doute et une forme de méfiance vis-à-vis de la maison mère. Pourtant, quelques semaines après sa sortie, difficile de ne pas constater qu’Alerte rouge s’accorde parfaiteme­nt avec une soirée plateau-repas. Son découpage en sketches, sa modestie formelle, son concept approximat­if, ses gags un peu feignasses, son panda pensé pour les nouveaux gifs de la saison : tout ici mise sur l’indulgence propre aux soirées canapé. Luca amorçait un peu cette idée d’un Pixar ni ambitieux, ni déplaisant, et tout à fait saucissona­ble ; Alerte rouge l’établit, probableme­nt à son corps défendant, en modèle parfaiteme­nt viable (d’ailleurs la critique anglo-saxonne a trouvé le film délicieux). C’est d’une logique implacable : en accélérant très sévèrement la cadence afin de « nourrir » la plateforme, Pixar s’est soudaineme­nt mis à fabriquer… des films de plateforme­s. Déclarés inaptes à affronter la concurrenc­e, Luca et Alerte rouge s’accommoden­t parfaiteme­nt de leur dimension de réformés, flottant tranquille­ment dans leur « univers », en attendant les prochains.

ALERTE R OUGE

De Domee Shi • Avec les voix (VO) de Sandra Oh et Rosalie Chiang • Sur Disney+

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