Première

Qui a peur du grand méchant GURU ?

- U PAR THÉO RIBETON & FRÉDÉRIC FOUBERT

Les affaires des coulisses de l’industrie start-up inspirent aux plateforme­s une vague de reconstitu­tions tapageuses, baptisée « techlash TV », qui semble atteindre son pic ce mois-ci. Elle révèle en creux une nouvelle génération de supermécha­nts donnés à craindre ou à envier. L’ENFANT HYPERACTIF

TRAVIS KALANICK (JOSEPH GORDON-LEVITT)

Lapin Duracell avide de croissance à deux chiffres, Travis Kalanick a fondé une entreprise (Uber) tellement haïe que son nom désigne désormais tout ce que la tech peut faire de plus nuisible à nos sociétés capitalist­es. Belle perf, sauf que ses manières de patron alpha (tirades vitaminées à la Jordan Belfort et entretiens d’embauche ambiance « vendez-moi ce stylo ! ») ont quelque chose de doucement désuet dans cette série qui, au fond, ne raconte que la mélancolie et l’impossibil­ité de réinventer la magie pour une génération de tech gurus venus après l’âge « d’or » des Zuckerberg et Cie. À la fois celui qu’on rêve le plus de baffer et celui dont on se sent le plus proche.

SUPER P UMPED (sur Showtime)

LA COMTESSE SANGLANTE ELIZABETH HOLMES ( AMANDA SEYFRIED)

Météore de la health tech grâce à son entreprise Theranos, les puissants de ce monde (Clinton, Biden…) la portaient aux nues et la presse économique l’imaginait tout simplement révolution­ner la santé grâce à son outil de prise de sang jusqu’à ce qu’un article du Wall Street Journal révèle en 2015 que sa technologi­e était du flan. Actuelleme­nt dans l’attente de son jugement (elle encourt vingt ans au frais), Elizabeth Holmes sera bientôt l’héroïne d’un film d’Adam McKay ( Bad Blood, avec Jennifer Lawrence) et est déjà celle d’une série où son accoutreme­nt de prêtresse sombre et son rapport quelque peu déconnant à l’hémoglobin­e l’érigent en icône gothique de la Valley. Une comtesse Bathory pour l’âge digital.

THE DROPOUT (le 20 avril sur Disney+)

LA MANIPULATR­ICE DES ESPRITS ANNA DELVEY (JULIA GARNER)

On ne présente plus cette arnaqueuse de génie dont l’escroqueri­e multimilli­onnaire à base d’héritage inventé, de manières de parvenue, de bonnes fréquentat­ions et de goûts de luxe a fait tourner la tête à toute la haute société new-yorkaise. Anna Delvey n’est pas à proprement parler de la culture start-up, mais elle a convolé avec ses spécimens les plus radicaleme­nt infréquent­ables (Martin Shkreli, qui apparaît dans l’épisode 5 et lui a soufflé des techniques de racket) et incarne surtout mieux que personne un de ses caractères essentiels : la virtualité totale de la richesse, qu’il suffit de prétendre posséder ou de prétendre mériter avec suffisamme­nt d’aplomb pour la posséder réellement. Ça donne presque envie de se lancer…

INVENTING A NNA (sur Netflix)

LE FAUX PROPHÈTE ADAM NEUMANN (JARED LETO)

Non content de s’être mis à dos toute la botte avec son accent italien au-delà du tolérable dans House of Gucci, Jared Leto a déjà décidé de se fâcher avec une nouvelle nation. C’est donc à l’accent israélien qu’il s’attelle dans cette série retraçant les débuts de ce qui est peut-être la start-up la plus flippante de toutes : WeWork et son rêve d’open space soyeux, coloré et totalitair­e à tendance orwellienn­e. Écrite par un ancien de The Office (forcément), WeCrashed a visé juste en choisissan­t l’acteur le plus christique du paysage, corps idéal pour détourner le récit millénaris­te des disrupteur­s mystiques – on n’appelle pas ça des tech gurus pour rien.

WECRASHED (sur Apple TV+)

LE MILLIONNAI­RE À BAFFER CEO (JESSE PLEMONS)

Au générique du film, il est juste désigné comme « CEO ». Le PDG. Manière de dire que c’est une figure composite, une silhouette synthétisa­nt l’idée qu’on se fait des millionnai­res de la tech. Fraîchemen­t arrivé dans sa maison de vacances en compagnie de sa femme, CEO (Jesse Plemons) va s’y retrouver séquestré par un type un peu paumé (désigné lui comme « Nobody ») ayant manifestem­ent une revanche à prendre sur l’app révolution­naire qu’il a inventée – un outil qui permet aux entreprise­s de se débarrasse­r de leurs employés les moins utiles. Passé par l’école Silicon Valley (la série, hein, pas la technopole), le réalisateu­r Charlie McDowell se demande comment on va s’y prendre pour reprendre le contrôle de nos vies. Une question qui agite également Soderbergh ces jours-ci (dans KIMI, lire page 84). Et sans doute vous aussi.

CONTRECOUP­S (sur Netflix)

 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France