Qui a peur du grand méchant GURU ?
Les affaires des coulisses de l’industrie start-up inspirent aux plateformes une vague de reconstitutions tapageuses, baptisée « techlash TV », qui semble atteindre son pic ce mois-ci. Elle révèle en creux une nouvelle génération de superméchants donnés à craindre ou à envier. L’ENFANT HYPERACTIF
TRAVIS KALANICK (JOSEPH GORDON-LEVITT)
Lapin Duracell avide de croissance à deux chiffres, Travis Kalanick a fondé une entreprise (Uber) tellement haïe que son nom désigne désormais tout ce que la tech peut faire de plus nuisible à nos sociétés capitalistes. Belle perf, sauf que ses manières de patron alpha (tirades vitaminées à la Jordan Belfort et entretiens d’embauche ambiance « vendez-moi ce stylo ! ») ont quelque chose de doucement désuet dans cette série qui, au fond, ne raconte que la mélancolie et l’impossibilité de réinventer la magie pour une génération de tech gurus venus après l’âge « d’or » des Zuckerberg et Cie. À la fois celui qu’on rêve le plus de baffer et celui dont on se sent le plus proche.
SUPER P UMPED (sur Showtime)
LA COMTESSE SANGLANTE ELIZABETH HOLMES ( AMANDA SEYFRIED)
Météore de la health tech grâce à son entreprise Theranos, les puissants de ce monde (Clinton, Biden…) la portaient aux nues et la presse économique l’imaginait tout simplement révolutionner la santé grâce à son outil de prise de sang jusqu’à ce qu’un article du Wall Street Journal révèle en 2015 que sa technologie était du flan. Actuellement dans l’attente de son jugement (elle encourt vingt ans au frais), Elizabeth Holmes sera bientôt l’héroïne d’un film d’Adam McKay ( Bad Blood, avec Jennifer Lawrence) et est déjà celle d’une série où son accoutrement de prêtresse sombre et son rapport quelque peu déconnant à l’hémoglobine l’érigent en icône gothique de la Valley. Une comtesse Bathory pour l’âge digital.
THE DROPOUT (le 20 avril sur Disney+)
LA MANIPULATRICE DES ESPRITS ANNA DELVEY (JULIA GARNER)
On ne présente plus cette arnaqueuse de génie dont l’escroquerie multimillionnaire à base d’héritage inventé, de manières de parvenue, de bonnes fréquentations et de goûts de luxe a fait tourner la tête à toute la haute société new-yorkaise. Anna Delvey n’est pas à proprement parler de la culture start-up, mais elle a convolé avec ses spécimens les plus radicalement infréquentables (Martin Shkreli, qui apparaît dans l’épisode 5 et lui a soufflé des techniques de racket) et incarne surtout mieux que personne un de ses caractères essentiels : la virtualité totale de la richesse, qu’il suffit de prétendre posséder ou de prétendre mériter avec suffisamment d’aplomb pour la posséder réellement. Ça donne presque envie de se lancer…
INVENTING A NNA (sur Netflix)
LE FAUX PROPHÈTE ADAM NEUMANN (JARED LETO)
Non content de s’être mis à dos toute la botte avec son accent italien au-delà du tolérable dans House of Gucci, Jared Leto a déjà décidé de se fâcher avec une nouvelle nation. C’est donc à l’accent israélien qu’il s’attelle dans cette série retraçant les débuts de ce qui est peut-être la start-up la plus flippante de toutes : WeWork et son rêve d’open space soyeux, coloré et totalitaire à tendance orwellienne. Écrite par un ancien de The Office (forcément), WeCrashed a visé juste en choisissant l’acteur le plus christique du paysage, corps idéal pour détourner le récit millénariste des disrupteurs mystiques – on n’appelle pas ça des tech gurus pour rien.
WECRASHED (sur Apple TV+)
LE MILLIONNAIRE À BAFFER CEO (JESSE PLEMONS)
Au générique du film, il est juste désigné comme « CEO ». Le PDG. Manière de dire que c’est une figure composite, une silhouette synthétisant l’idée qu’on se fait des millionnaires de la tech. Fraîchement arrivé dans sa maison de vacances en compagnie de sa femme, CEO (Jesse Plemons) va s’y retrouver séquestré par un type un peu paumé (désigné lui comme « Nobody ») ayant manifestement une revanche à prendre sur l’app révolutionnaire qu’il a inventée – un outil qui permet aux entreprises de se débarrasser de leurs employés les moins utiles. Passé par l’école Silicon Valley (la série, hein, pas la technopole), le réalisateur Charlie McDowell se demande comment on va s’y prendre pour reprendre le contrôle de nos vies. Une question qui agite également Soderbergh ces jours-ci (dans KIMI, lire page 84). Et sans doute vous aussi.
CONTRECOUPS (sur Netflix)