Première

THE BATMAN

Balaise, impression­nant, et sérieuseme­nt trop long, le nouveau Batman est un monument d’une seule pièce qui donne surtout à Matt Reeves, après le final de La Planète des singes, l’occasion de s’affirmer (de nouveau) comme un auteur dans le système actuel.

- SYLVESTRE PICARD

C’est un jeu facile mais toujours rigolo : demandez-vous qui a réalisé Spider-Man : No Way Home. Ou plutôt : qui en a assuré la promo ? Tom Holland, Zendaya, le superprodu­cteur Kevin Feige… ; la voix qu’on entendait le moins, c’était celle de son réalisateu­r, Jon Watts. C’est un peu facile mais c’est un acquis de longue date que les réalisateu­rs du Marvel Cinematic Universe ne sont là, au fond, que pour tourner quelques scènes de dialogues tandis que les concept et digital artists conçoivent sur ordinateur les moments les plus mémorables et épiques. A contrario, la voix la plus présente autour de The Batman était bien celle de son réalisateu­r Matt Reeves. Il a assuré la promo et le SAV, justifiant et explicitan­t ses choix d’écriture et de mise en scène. Et en prenant toute la responsabi­lité. Il a eu les mains totalement libres pour faire le film Batman ultime, explique-t-il, à deux exceptions : ne pas faire un film trop violent (donc restricted, comme Joker) et ne pas faire fumer le personnage du Pingouin. À part ça, liberté totale. Il n’y a aucune raison de ne pas le croire (Warner avait déjà permis à Zack Snyder d’achever son Justice League l’an dernier, accolant même son nom à celui du film). Et ce d’autant plus que The Batman est très clairement un film d’auteur, une expression galvaudée que l’on va essayer d’affiner un peu plus : disons que le film donne l’impression d’un bloc entier, de suivre bel et bien la vision directrice d’un réalisateu­r, et non pas la polyphonie d’une writing room chargée d’inclure The Batman dans un plan quinquenna­l. Voilà un film mono, et non pas stéréo. Après tout, le Dark Knight a une identité suffisamme­nt forte et ancrée dans l’imaginaire pour ne pas avoir à le faire « begins » de nouveau, et à réexplique­r les origines. Reeves – qui a mis plus de cinq ans à développer son film – prend, de fait, toute la place.

RÉAL SOUS INFLUENCE. Joker était littéralem­ent un film de stand-up imitateur (La Valse des pantins, Taxi Driver copiés jusqu’à la caricature), The Batman ne peut faire autrement que de convoquer un modèle tout aussi écrasant, celui de Fincher (Seven et Zodiac, cités explicitem­ent). Todd Phillips prophétisa­it à la sortie de Joker que l’avenir des superhéros serait celui des auteurs : prendre de très grands réalisateu­rs pour tourner de très grands films. Une analyse un brin démesurée de la part de l’auteur de Very Bad Trip (son Joker a pu au moins nous renseigner sur son style : celui de s’intéresser à la sociologie de l’incel contempora­in, de Vegas à Gotham), mais qui s’applique parfaiteme­nt à The Batman. À chaque minute du film (qui en compte 176), on sent que Matt Reeves est là. Et qu’il veut régner sur Gotham. Le résultat est objectivem­ent écrasant : Reeves nous plonge dans une Gotham « seven- isée » à mort, où il pleut sans cesse, dont les rues et les conseils municipaux débordent d’ordures, et où le personnage le plus sympathiqu­e est un mafieux tout droit sorti des Sopranos, appelé le Pingouin (épatant Colin Farrell, d’une justesse surprenant­e malgré sa tonne de maquillage).

UN AUTEUR AFFIRMÉ. Écrasant et sérieux, le film est à l’image de son Batman tout juste sorti de l’adolescenc­e, joué par un Pattinson retrouvant son allure juvénile de Twilight (c’est un compliment), revisitant des figures bibliques comme souvent chez Reeves (le Léviathan de Cloverfiel­d, Lilith dans Laisse-moi entrer, Moïse dans La Planète des singes, ici ce serait plutôt Caïn et Abel), tout en restant quand même bien plus léger que la pompe libertarie­nne de Snyder… Et unifié par le score brillant de Michael Giacchino (compositeu­r des deuxième et troisième Planète des singes signés Reeves). The Batman ressemble bien au nouveau film d’un auteur affirmé, comme le faisait déjà La Planète des singes : L’Affronteme­nt en 2014, pourtant deuxième épisode d’une franchise de studio. D’ailleurs, vous rappelez-vous du réalisateu­r du reboot de La Planète des singes en 2011 ? Non ? Tiens donc. u

ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ LaPlanèted­essinges: L’Affronteme­nt (2014), Mindhunter (2017), ZackSnyder’sJusticeLe­ague (2021)

Pays États-Unis • De Matt Reeves • Avec Robert Pattinson, Zoë Kravitz, Colin Farrell… • Durée 2 h 56

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Robert Pattinson

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