SUPER EXPRESS 109
Un TGV japonais dernier cri conduit par Sonny Chiba est lancé à toute allure sur les chemins de la modernité et du capitalisme à outrance. Problème : il risque d’exploser s’il descend en dessous des 80 km/h ! Ça vous rappelle quelque chose ?
Ceux qui ont décidé de jeter un oeil à cet article, aguichés à l’idée de découvrir le blueprint nippon et 70s de Speed peuvent tranquillement passer à la page suivante. Super Express 109, un peu plus connu sous le titre The Bullet Train, n’a finalement été pillé que sur le flanc de son high- concept par les studios hollywoodiens. Pour votre sécurité donc, merci d’oublier tout actioner californien avant de monter à bord de ce sensationnel blockbuster Toei qui fait le pari que la diplomatie peut être autrement plus excitante que le kaboom – c’est de saison. Le point de départ est du genre limpide : un gang d’affreux jojos, mené par l’icône Ken Takakura, place une bombe à bord du Shinkansen (le TGV japonais) ralliant Tokyo à Hiroshima. Si le train descend en dessous des 80 km/ h, la décharge pète en même temps que les 1 500 passagers. Si le gouvernement accepte de livrer une grosse valise remplie de petites coupures, elle pourra en revanche être désamorcée dans la foulée. Mais très vite tout ce postulat va s’avérer beaucoup plus compliqué qu’il n’en a l’air. Déjà parce que les criminels, trois types vaguement politisés et totalement fauchés, sont affreusement touchants et sympathiques, surtout celui interprété par Takakura, ex-papa patron brutalement déclassé. Ensuite parce que le vrai climax du film, la collision probable entre deux Shinkansen lancés à pleine vitesse, se déroule un peu avant la fin de la première heure. Il reste ensuite une bonne centaine de minutes pour que le trajet-catastrophe initialement amorcé dévie vers la traque urbaine, le drame social, et le suspense en terrain administratif. Tout d’un coup, oui, le cinéma de Jan de Bont paraît très très loin.
RAGE ICONOCLASTE. En prenant le pari qu’observer des hauts fonctionnaires qui réfléchissent à haute voix dans des bureaux serait bien plus palpitant que de suivre un train à grande vitesse sur le point d’exploser, le film de Junya Sato (solide artisan ultra-productif de la Toei) laisse transparaître toute sa singularité. Et en décrétant que le sort de bandits fracassés par les injustices sociales pourrait être bien plus poignant que celui de quidams installés dans un bolide dernier cri, il affirme toute sa rage iconoclaste. La difficulté ensuite, c’est d’agglomérer toutes ces strates. La seule qui ne fait pas vraiment corps avec le récit est aussi celle pour laquelle on a payé notre ticket (la bombe dans le train), ce qui est un peu fâcheux. Une déception symbolisée, et presque conceptualisée, par la présence du fringant Sony Chiba en conducteur de TGV qui passe 90 % de ses scènes assis à causer dans un téléphone (il s’offre tout de même un petit baroud d’honneur avec quelques pirouettes au moment du final). Tout le reste en revanche cohabite à merveille : les hauts fonctionnaires pétrifiés par leur hiérarchie et les bandits obligés de vendre leur sang pour bouffer, les flics qui font tout péter sur leur route et le responsable de la sécurité ferroviaire qui mise tout sur l’intelligence, les vignettes BD et les guitares psychés.
QUÊTE EXISTENTIELLE. Vers la toute fin, lorsqu’il apparaît que le Shinkansen n’était qu’un prétexte et que le gangster en chef se met à croire naïvement en sa deuxième chance, le film entame sa dernière mue, celle d’un film noir mené façon quête existentielle. Aux abords du tarmac, juste avant que l’avion ne s’envole et que les flics ne dégainent, on constate alors qu’un autre succès hollywoodien des 90s est venu l’air de rien se servir dans Super Express 109. Ceux qui sont intrigués à l’idée de découvrir le blueprint nippon et 70s de Heat peuvent tranquillement passer à la caisse.