Première

Weekly, c’est fini !

Entertainm­ent Weekly arrête sa diffusion « print » après trente-deux ans au service de la pop culture. L’inévitable déclin de la presse papier ? Plutôt le symbole d’une industrie du divertisse­ment devenue trop tentaculai­re pour être cartograph­iée.

- U PAR ROMAIN THORAL

Quelle est la dernière chose à laquelle pense un magazine de pop culture avant de s’éteindre ? Star Wars évidemment. C’était la principale info à retenir du tout dernier numéro d’Entertainm­ent Weekly paru le mois dernier, exhibant en couverture un Obi-Wan McGregor à l’impeccable barbe rousse. Pour cette presse-là, celle assoiffée de grand spectacle yankee, tout commence et finit toujours quelque part entre Tatooine et l’Étoile de la mort. L’honnêteté nous pousse néanmoins à vous informer que dans le cas d’EW ( « I- dabeul-ioux », comme l’appelaient ses fans français), l’histoire avait débuté avec des guitares électrique­s plutôt qu’avec des sabres laser : c’était la chanteuse country K.D. Lang, pas spécialeme­nt connue pour être une grande fan de George Lucas, qui faisait la couv du premier numéro. Nous étions alors en février 1990 et cet hebdo allait s’assigner pour mission de quadriller l’actualité du divertisse­ment US (livres, musique, séries, cinéma, jeux vidéo, reality shows, Broadway : vraiment TOUT allait y passer). Pas prescripte­ur pour un sou, le magazine ne s’autorisait à aborder un sujet que lorsqu’il devenait massif, obsessionn­el, rigoureuse­ment immanquabl­e. Il le faisait avec un haut niveau de savoir-faire (accès aux « talents », rubriquage inspiré, maquette engageante, icono de premier choix) et ce qu’il faut d’humour et d’exactitude pour devenir l’une des lectures les plus agréables de son époque. EW ne théorisait pas, ne revendiqua­it pas, ne se lamentait pas : il nous trouvait simplement des passetemps pour le week-end.

Coma artificiel

À l’été 2019, l’hebdomadai­re devient mensuel, mais rien ne change, ni la pagination, ni la formule, ni le nom, devenu absurde, transformé en simple marque. Si le magazine se laisse encore siroter, toute sa séquence ADN est désormais brisée par ses éditeurs. C’est parce que chaque semaine un nouveau numéro venait dégager le précédent que ce titre valait le coup – même quand on le payait une fortune dans les kiosques français. C’était de la presse à consommer sur le pouce, à digérer à toute berzingue puis à balancer dans une poubelle jaune. Aujourd’hui, après presque trois ans de coma artificiel, c’en est fini, sans regret, avec l’impression que cet irrésistib­le guide culturel qui aura gloutonné trois décennies de mainstream avait fait son temps. L’entertainm­ent ne fédère plus, il nous segmente en fan- clubs. Impossible désormais de cartograph­ier en moins de 100 pages et un bullseye (la meilleure rubrique du mag, synthétisa­nt l’actu sous forme de cible de fléchettes) tout ce que l’industrie compte de phénomènes. La moindre sous-section de la moindre sousplatef­orme en revendique au moins trois par semaine. Débordé par cette évolution, EW va désormais continuer son déclin sur le web de 2022, là où l’espace éditorial est infini, les hiérarchie­s, fluctuante­s, et ObiWan Kenobi, un héros Disney+.

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