Première

LesTrois Mousquetai­res au cinéma Si les d’Artagnan étaient comptés

Rencontre avec Claude Aziza, spécialist­e de l’Antiquité et grand fan de Dumas devant l’éternel.

- U PAR THOMAS BAUREZ

J’ai longtemps cherché un d’Artagnan présentabl­e, je n’en ai pas trouvé beaucoup » , nous balance avec humour l’universita­ire Claude Aziza, 85 ans, spécialist­e de l’oeuvre de Dumas à ses heures non perdues. « Présentabl­e » ? C’est-à-dire ? Un nom au-dessus de la grosse mêlée : celui de Gene Kelly. Dans Les Trois Mousquetai­res de George Sidney, sorti en 1948, outre Kelly, il y a aussi Lana Turner qui campe une incandesce­nte Milady, et une France du XVIIe qui brille de mille feux en Technicolo­r comme dans une comédie musicale que le film n’est pas tout à fait. « C’est la plus belle adaptation à mes yeux, surenchéri­t Claude Aziza. C’est beau, rythmé, épique. Kelly transforme chaque combat en ballet. Si l’esprit est respecté, l’idée que l’oeuvre de Dumas soit modifiée pour coller à certains canons de l’époque ne me dérange pas. Pour la morale hollywoodi­enne d’alors, l’adultère était un problème, le personnage de Constance Bonacieux a donc été légèrement modifié. Cela n’enlève rien à la richesse de l’intrigue. »

Pris dans son élan passionné, Aziza déroule ses d’Artagnan plus ou moins présentabl­es. Il y a ceux qui ont écrasé le personnage, emporté par leur ego, « c’est le cas de Douglas Fairbanks, certes très séduisant mais qu’il soit un mousquetai­re ou Robin des Bois, il reste Fairbanks » ; les irréprocha­bles : Kelly donc, mais aussi Jean Marais, Jean-Paul Belmondo (pour la télé), Gabriel Byrne, Jean-Pierre Cassel ou encore Gérard Barray ; et ceux, plus intéressan­ts encore, qui n’avaient pas trop la carrure et qui l’ont finalement trouvée. C’est le cas d’Aimé Simon-Girard qui tentera le coup une première fois au temps du muet, en 1921, « il est alors trop précieux, emprunté, ça ne va pas du tout ». Le cinéaste Henri Diamant-Berger rempile dix ans plus tard avec le même SimonGirar­d soudain plus parlant, « l’acteur s’était épaissi, avait gagné en intensité, il n’était plus du tout ennuyeux... » Richard Lester fera lui aussi vieillir son d’Artagnan à l’écran. En 1973, il signe Les Trois Mousquetai­res avec l’Anglais Michael York qu’il redirige quinze ans plus tard dans Le Retour des trois mousquetai­res, « idem, la maturité fait du bien à l’acteur et donc au personnage qui devient plus complexe, plus conscient de ce qu’il lui arrive ».

C’est là que Claude Aziza en profite pour partager sa grande théorie sur la question. « En 1844 lorsqu’Alexandre Dumas écrit Les Trois Mousquetai­res, il a déjà 40 ans passés. Or son personnage est censé en avoir 18. Il doit donc faire un effort d’imaginatio­n pour essayer de le comprendre intimement. Il sera plus à l’aise lors de l’écriture de Vingt ans après, où d’Artagnan est devenu un homme de son âge. Je me rends compte qu’au cinéma, les d’Artagnan que je préfère n’ont pas la figure du jeune romantique mais de l’adulte intrépide et expériment­é. » Du haut de ses 32 ans, François Civil, le nouveau d’Artagnan, ni enfant ni grand sage, a donc tout ce qu’il faut pour bien présenter.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France