Première

KELLY MACDONALD LA DISCRÈTE

Elle a fait ses premiers pas d’actrice dans Trainspott­ing voilà déjà vingt-cinq ans. Vingt-cinq ans d’une carrière menée sans squatter la une des journaux. Rencontre à l’occasion de la sortie de La Ruse, où la comédienne fait une fois encore merveille.

- U PAR THIERRY CHEZE

Je mesure vraiment la chance que j’ai eue de travailler avec des metteurs en scène aussi immenses. Et encore plus qu’on m’ait souvent offert les rôles en question sans réelle audition. Car je n’aurais jamais eu la moindre idée de comment les décrocher. » Cela fait près de vingt minutes que nous avons à l’autre bout du fil la voix joyeuse et espiègle de Kelly Macdonald – irrésistib­le ce mois-ci dans La Ruse en secrétaire du MI5 impliquée dans l’opération Mincemeat, épisode clé de la Seconde Guerre mondiale – à dérouler le fil de son parcours, quand elle balance cette phrase, exprimant soudain tout haut ce qu’elle pensait tout bas. Cette spontanéit­é nous révèle qu’elle ne se livre pas souvent à ce genre de flash-back. Et elle correspond exactement à l’image qu’on se fait d’elle, éclatante à chaque apparition à l’écran et si discrète en dehors. Reconnue à sa juste valeur, mais pas vraiment célébrée à la hauteur de celle-ci.

La liste des fameux réalisateu­rs qu’elle évoquait tient pourtant du feu d’artifice : de Danny Boyle (Trainspott­ing) à Robert Altman (Gosford Park) en passant par Martin Scorsese (Boardwalk Empire), les frères Coen (No Country for Old Men) et Bertrand Tavernier (Dans la brume électrique). Et si elle liste sans langue de bois ses castings ratés – Moulin Rouge, À tombeau ouvert, Matrix ou Shakespear­e in Love de John Madden… qu’elle retrouve dans La Ruse –, chaque plongée dans ses souvenirs donne l’impression qu’elle revit un moment dont elle peine encore à croire qu’il est arrivé. À l’image de son singulier premier rendezvous avec Altman. « Je suis arrivée à l’hôtel où l’on devait se retrouver. On a commencé à parler, puis son téléphone a sonné. Et il a passé les minutes suivantes en ligne, expliquant à son interlocut­eur qu’il avait une jeune actrice vraiment très intéressan­te devant lui. C’était très bizarre. Je suis repartie sans échanger beaucoup plus avec lui, avant qu’il me rappelle une semaine plus tard pour me dire que j’étais prise. » À tous ces cinéastes évoqués plus haut, elle trouve un point commun, essentiel à ses yeux. « Leur manière de faciliter les choses en rendant leurs plateaux tellement joyeux. Leur amour des comédiens aussi et leur capacité à dissiper nos doutes avant même qu’ils nous envahissen­t. »

Secrets de longévité

Mais si Kelly Macdonald se sent à ce point bénie des dieux, c’est aussi parce que l’ado qui se passait en boucle La Blonde du FarWest – la comédie musicale avec Doris Day en Calamity Jane – n’avait jamais pensé que ce métier d’actrice puisse lui être accessible. Et ce n’est finalement que parce qu’à 19 ans, serveuse dans un pub, elle ne savait pas vraiment quoi faire de sa vie qu’elle a répondu à la petite annonce d’un casting où Danny Boyle indiquait rechercher « la nouvelle Patricia Arquette » pour camper la lycéenne délurée de Trainspott­ing. « Je commençais à envisager de tenter le concours d’entrée d’une école de théâtre. Donc j’y suis allée simplement pour m’entraîner. D’autant plus que j’avais quatre ans de plus que le rôle. » Sauf qu’elle franchit la première étape. Puis la suivante. Jusqu’à l’audition finale où elles ne sont plus que deux. « Je me reverrai toujours ce matin-là, à Glasgow, dans le bus à impériale qui me conduisait vers les essais avec cette sensation que ma vie allait enfin commencer. » Sa différence d’âge avec son personnage fut tout sauf un problème. «J’avais plus 15 ans que 19 dans ma tête. J’étais tellement naïve et je le suis longtemps restée. Quatorze ans plus tard, quand Tavernier m’a confié le rôle d’une actrice sexy et extraverti­e, je me suis d’ailleurs sentie totalement à côté de la plaque. J’ai mis du temps à trouver comment la composer tant elle était à mille lieues de ce qu’il avait projeté sur moi. » Depuis 1995, en tout cas, les projets n’ont jamais vraiment cessé de s’enchaîner (on va la retrouver dans son propre rôle le temps d’un épisode du remake de la série Dix pour cent). Et quand, pour clore la conversati­on, on lui demande le secret de cette longévité, elle répond du tac au tac : « Je suis mon instinct. Pour une raison très basique : les seules fois où je ne l’ai pas fait, les expérience­s se sont révélées catastroph­iques. » Expérience­s qu’elle ne citera évidemment pas. Car ce métier est pour elle une partie de plaisir(s), le reste s’efface comme s’il n’avait jamais existé.

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