Première

« Cannes dans tous les salons et dans toutes les poches » ?

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Le Festival de Cannes doit rentrer dans chaque foyer, partout dans le monde. » (Delphine Ernotte, présidente de France Télévision­s) « En termes d’audiences brutes, nous allons avoir une résonance mondiale. » (Pierre Lescure, président du festival) Il faut bien sûr prendre ces déclaratio­ns pour ce qu’elles sont : des effets d’annonce. Mais il faut aussi prendre l’accord entre le festival et son nouveau tandem de diffuseurs (France Télévision­s et Brut) pour ce qu’il est : la fin d’une décennie de cure d’amaigrisse­ment médiatique. Car Cannes a pratiqueme­nt disparu du petit écran depuis 2014, date de la dernière édition ayant bénéficié d’une véritable case quotidienn­e en access prime time (Le Grand Journal version Antoine de Caunes).

Depuis, il y a eu Bolloré, ennemi des dépenses superflues autant que des petites coteries d’artistes subvention­nés, et l’idée d’un festival populaire et célébré s’est ratatinée dans les cases subalterne­s du bouquet Canal. C’est justement ce vieux souvenir que le service public rêve aujourd’hui de ressuscite­r, dans une version un peu moins pailletée, certes (argent public oblige), mais encore plus ambitieuse en temps d’écran. Le groupe France Télévision­s, qui a décroché le contrat au nez et à la barbe d’un Canal rabougri par des années de réductions de coûts voraces, annonce aborder le festival comme les JO, c’està-dire un événement national étalé sur tous ses canaux de diffusion. Quotidienn­e de deux heures sur Culturebox, cérémonies sur France 2, versions cannoises de ses émissions phares (C ce soir, C à vous, La Grande Librairie, Télématin), mise en avant sur les JT nationaux…

Bien sûr, avec un plan limité à la petite lucarne, Cannes ne toucherait pas grand monde en dessous de la préretrait­e (âge moyen du téléspecta­teur français en 2021 : 56 ans). Mais avec l’apport de Brut, qui assure la moitié des 2 millions du mandat et déploie un vaste plan de diffusion à destinatio­n des jeunes (montée des marches sur TikTok, événements participat­ifs sur Snapchat et Brut.Live, courts métrages sur BrutX, longs entretiens avec Augustin Trapenard sur Facebook…), se dessine le visage d’une démocratis­ation inédite du festival – et la petite planète cinéphile, qui s’était résignée à ne plus intéresser qu’elle-même (ou en tout cas pas les jeunes), se prend soudain à rêver d’un réenchante­ment populaire.

Pari risqué

Reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle. Les audiences n’ont pas été au rendez-vous des derniers grands raouts du 7e art. Celles des César sont en chute libre – divisées par trois en dix ans. Les investisse­ments massifs engagés par ce couple de médias dans un filon aussi dévalué que le cinéma ont donc quelque chose de singulière­ment anachroniq­ue. C’est de la nouvelle formule proposée, mais aussi de la sélection elle-même (avoir entendu parler des films reste la raison principale de regarder ou non une cérémonie à la télévision – lors des derniers Oscars, West Side Story était le seul des dix nommés au meilleur film à avoir atteint plus d’un Américain sur deux) que dépendra la réussite de ce qui est sans aucun doute le pari le plus risqué de cette 75e édition.

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