Première

LA VIACCIA

Entre le travail à la ferme familiale et les bras de Claudia Cardinale dans un bordel florentin, le coeur de Jean-Paul Belmondo balance. Il fera le seul choix possible, celui du grand cinéma.

- GUILLAUME BONNET

Le titre est au choix. En VO, la Viaccia est le nom de la propriété familiale des Casamonti, tribu réunie autour du patriarche qui rend son dernier soupir. Il va falloir gérer l’héritage, entre le fils commerçant sans descendanc­e et le fils paysan, avec la moustache, les mains calleuses et un rejeton dont la gueule sort du lot, puisque c’est celle du Belmondo millésime 1961 (l’année de Léon Morin, prêtre, histoire de se situer). En France, à sa sortie, le film s’appelait Le Mauvais Chemin, sans que l’on puisse déterminer avec certitude s’il s’agissait de désigner celui qui éloigne le fils prodigue de la ferme ou celui qui l’y ramène, inexorable­ment… Car c’est bien la question posée par la parabole d’un film qui se

définit avant tout par les lieux qu’il visite, et ce dès sa toute première image : des arbres et des champs, pas un bout de ville à l’horizon, mais un carton qui annonce fièrement « Firenze ». On est dans la campagne aux abords de la grande ville, il y aura d’un côté la maison sur la colline et les vignes en contrebas, de l’autre une maison close à Florence et le vice à l’étage. Entre les deux, la route boueuse qui sépare la décence déchue d’un père prêt à tout pour préserver ses racines et l’indécence fière des femmes sans attaches. Si loin, si proche, deux mondes que tout sépare, sauf une petite pluie tenace qui imprègne les sols et mouille les pavés.

PLASTICIEN. Mauro Bolognini, cinéaste parfois taxé d’académisme pour ses oeuvres tardives en couleurs, est avant tout un plasticien atmosphéri­que stupéfiant. Les plans de campagne sont sublimes, ceux de Florence à couper le souffle. Places, ponts, quais, impasses, chaque décor est habité, hanté, à la fois fantomatiq­ue et sidérant de présence, la reconstitu­tion brumeuse évoquant les émulsions des pionniers de la photograph­ie et la peinture pré-impression­niste du milieu du XIXe siècle, une référence soulignée dans une version sépia que Bolognini fit réaliser avant sa mort et dont un extrait est ici présenté en bonus. Le dernier lieu, le plus beau du film et le plus entêtant, c’est l’intérieur du bordel, la grande pièce à miroir, les deux escaliers (l’un qui monte vers les chambres, l’autre qui descend vers la rue), le den orientalis­te où l’on attend son tour, le couloir à l’étage et enfin la chambre où Bianca (Cardinale, l’année de La Fille à la valise, histoire de bien se préparer…) ensorcelle le pauvre garçon, à moins que ce ne soit l’inverse – ou réciproque. Ce n’est pas tant qu’ils s’aiment, c’est qu’ils pourraient s’aimer, au bord d’un précipice tragique.

GÉNIE. Il faut voir comme les deux jeunes stars se regardent, scène après scène, plan après plan, yeux dans les yeux, leur rencontre muette sous la pluie, son sourire à elle, sa façon à lui de ne pas rigoler, mais alors pas du tout, puis leur première étreinte, en champ- contrecham­p/regard- contrerega­rd, pour mesurer ce qu’une mise en scène surmaîtris­ée peut devoir à des comédiens de génie. Tout le film est là : des lieux, des yeux, et le cinéma qui circule à travers eux.

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• Avec Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale, Pietro Germi... • Éditeur Lobster
Films • Bonus ★★★
De Mauro Bolognini • Avec Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale, Pietro Germi... • Éditeur Lobster Films • Bonus ★★★
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Claudia Cardinale et Jean-Paul Belmondo

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