Première - Hors-série

INTERVIEW

- PAR BENJAMIN ROZOVAS

S. Craig Zahler hybride western, polar et horreur dans tous les sens. Interview avec un outlaw du genre.

Romancier pulp (les éditions Gallmeiste­r viennent de publier Les Spectres de la terre brisée), batteur de heavy metal et chef cuistot, le réalisateu­r de Bone Tomahawk est en passe de réanimer le cadavre du cinéma de genre avec un goût très sûr pour l’ultraviole­nce. En postproduc­tion de son prochain coup de sang, Dragged Across Concrete, S. Craig Zahler nous explique pourquoi l’horreur, dans ses films, est un outil comme un autre.

En 2015, Bone Tomahawk a métastasé comme il le fallait dans l’estomac des fans de genre. Charnu, copieux (2 h 12), le film savait ce qu’il voulait être (un western marchant inexorable­ment vers l’horreur) et donnait à digérer le nombre exact de calories indiquées sur la boîte. En termes de production, malgré un budget chagrin et une patine un poil numérique, il était d’une taille qui lui convient (la sienne). Il débutait sur le kidnapping d’une femme par une race oubliée de troglodyte­s cannibales, et sur la constituti­on d’un groupe d’hommes chargés de chevaucher pour la récupérer. Et son réalisateu­r S. Craig Zahler s’appliquait tout du long à tenir cette promesse. Personnage­s en sursis, atmosphère d’effroi, éruptions gore nauséeuses... Quelque part, le cinéma de genre est voisin de la comédie. Si ça fonctionne (si c’est drôle/prenant/ effrayant), alors ça fonctionne. Une simple mission d’efficacité (la base!) que la plupart des films de genre actuels ne semble plus devoir assumer... Et le titre y allait fort ! Bone Tomahawk ! Un tomahawk fabriqué à partir d’ossements humains. De quoi conjurer dans l’esprit du spectateur une certaine idée du charnier à venir. Mais là encore, le film surpassait notre imaginaire. Les haches y étaient levées et les crânes graphiquem­ent broyés dans un bruit de coquille d’oeuf qui est un peu devenu la marque de fabrique du réalisateu­r. S. Craig Zahler est un champion des titres bad ass. Son film suivant, Section 99 [Brawl in Cell Block 99 en VO, 2017], entraînait Vince Vaughn dans une spirale de violence carcérale qui culminait par des arrachages de têtes à coups de pied. À 45 ans, avec ses T-shirts heavy metal et ses cheveux tirés en arrière, Zahler a l’allure d’un postado. Comme pas mal d’artistes aux univers hardcore, il est timide, posé, doux comme un agneau. Mais dans son envie de ne pas décevoir et son absence de prétention, il ressemble beaucoup à ses films. Il se définit comme un geek indécrotta­ble, un fan. La consommati­on et la production d’art « alternatif » occupent la majeure partie de son temps. Il dit acheter plus de 200 disques de metal par an, binge actuelleme­nt une pile de 500 comics d’horreur des années 50 et utilise l’argent que lui rapporte la vente de ses scénarios pour s’offrir des éditions originales de romans d’Edgar Rice Burroughs et Jules Verne. S. Craig Zahler est aujourd’hui un acteur pivot de l’industrie, aussi bien sur le versant ciné que télé. Tous ses romans sont en cours d’adaptation

(Ridley Scott est censé filmer Les Spectres de la terre brisée, sur un scénario de Drew Goddard), et la fine fleur des acteurs A-list frappe à sa porte. Malgré un emploi du temps chargé, il a accepté que Première le dérange chez lui, à New York, alors qu’il s’apprête à vérifier l’étalonnage de son dernier film, Dragged Across Concrete. PREMIÈRE : La postproduc­tion du dernier film, c’est votre occupation du moment ? Vous n’écrivez pas le prochain ? Pas de roman, de série ou d’album-concept en cours ?

S. CRAIG ZAHLER : Oh si, toujours. (Rires.) Je mets la dernière touche à mon roman The Slanted Gutter, une saga criminelle saupoudrée d’horreur qui m’a rendu très nerveux à l’écriture. Je rentre en session d’enregistre­ment avec ma nouvelle formation Binary Reptile : on fait de la synthé-pop, entre les Goblins et Brian Eno. Et sinon j’essaye quotidienn­ement de développer des choses en télé. Des acteurs sont en train de lire l’adaptation en série de mon roman Exécutions à Victory [Mean Business on North Ganson Street en VO]...

Comment dois-je vous appeler : S. ? Craig ? Mr. Zahler ?

La plupart de mes amis et des gens qui ne sont pas de ma famille m’appellent Zahler. C’est OK, vous pouvez m’appeler Craig. Craig, votre background ressemble au bric-à-brac de ma chambre d’enfant : des films d’horreur, du hard-rock, des romans pulp, des westerns, du cinéma bis… Comment développe-t-on un goût aussi sûr en grandissan­t à Miami ? (Rires.) D’abord, merci pour le compliment. J’ai grandi sous le soleil de Miami, oui, mais si vous me cherchiez, j’étais plutôt à l’ombre. À 9 ans, je lisais H.P. Lovecraft et Robert E. Howard. J’étais abonné à Fangoria, je regardais des films d’horreur. Au secondaire, j’avais une statue de Humphrey Bogart dans ma chambre, j’étais déjà transi d’amour pour le glamour du vieil Hollywood. Culturelle­ment, j’ai toujours eu plusieurs maîtresses. Et dès que je m’intéresse à quelque chose, il faut que j’assouvisse cette démangeais­on en passant moi-même à l’acte. Pas le choix, mon cerveau fonctionne ainsi... Petit, j’ai étudié et pratiqué le dessin pendant des années. Je suis devenu un lecteur sérieux à l’âge de 12 ans et, dès lors, tout au long de ma vie, j’ai su répondre à la question :

« Qu’est-ce que tu lis en ce moment? » Peu importe si j’aime ou non, je finis toujours un livre commencé. Le raisonneme­nt étant – outre perdre son temps avec des trucs merdiques – que j’emmagasine de l’informatio­n pour me forger une esthétique propre, définie par mes préférence­s et mes détestatio­ns. Avant d’écrire mon premier western, j’ai vu dix-sept films de cow-boys dans un festival à New York pour établir une sorte de bilan de mon rapport au genre, de mes « pour » et de mes « contre ». Et c’est un peu la même démarche pour tout ce que j’entreprend­s. Je n’ai pas de background musical ; j’ai appris à écrire de la musique en signant des articles dans des magazines de heavy metal. Mes projets de death et de black metal ont été nourris de cette écoute critique. Avant même de commencer, je savais plusieurs choses : 1/ Je ne veux pas que les paroles atterrisse­nt sur chaque beat, 2/ Elles ne suivent pas les riffs de guitare, elles doivent avoir une identité propre, etc. Voilà. Je dévore beaucoup de films, de musique, de livres et d’art undergroun­d, mais j’ai un goût très sélectif.

Votre approche du travail est donc celle d’un fan ?

Complèteme­nt. Je ne comprends pas ceux qui prétendent faire du cinéma ou de la musique autrement. Hier soir, j’ai fini le script de 317 pages de la minisérie western que j’essaye de monter [une adaptation de son roman Une assemblée de chacals], et je me suis immédiatem­ent posé devant des épisodes de Have Gun – Will Travel [série western des années 50 sur un gentleman de la gâchette], simplement parce que j’avais tellement réfléchi au genre et que je trempais encore dans cette ambiance feutrée de « gunfighter à louer »... Je n’accepte pas les standards officiels, et je pense que c’est l’une des raisons qui différenci­e mon travail de celui des autres. Je refuse de reconnaîtr­e Shining ou L’Homme des vallées perdues, que je n’aime pas, comme des classiques intemporel­s. Mais j’ai de bonnes raisons, je crois, de ne pas les aimer.

Vous mentionnie­z le magazine Fangoria, qui fait la part belle aux effets spéciaux de films d’horreur. Votre amour du genre commence-t-il avec les effets de maquillage ?

Oui. J’ai 13 ans et je suis encore un peu effrayé par les films d’horreur quand je découvre la version intégrale de Re-Animator de Stuart Gordon. Jusque-là, mon horizon gore se limitait à Gremlins et Indiana Jones et le temple maudit, mais le choc graphique de Re-Animator me retourne le cerveau. Les éviscérati­ons, les scies à os plantées dans les torses, les cerveaux excisés, etc. C’est l’âge où je passe de gentil fan d’épouvante à « goreux » de première. Fangoria, que je lisais distraitem­ent pour me faire peur, devient ma bible. Flash-forward, de nos jours : Je signe parfois des articles pour la nouvelle formule du magazine, que vient d’acquérir mon producteur Dallas Stonier. J’y parle de films gore à petit budget... Mais oui, en général, tout ce que j’écris, qu’il s’agisse de westerns, de récits criminels ou de science-fiction, contient un (ou des) élément(s) d’horreur. C’est l’un des instrument­s clés de mon arsenal.

Vous ne rangez pas Bone Tomahawk dans le genre horreur ?

J’y ai pensé originelle­ment comme un hybride horreur-western, mais à l’arrivée, c’est un western au sens classique du terme. Une aventure dans l’Ouest sauvage où la frontière est un creuset physique et moral pour les protagonis­tes. Quand l’horreur surgit, elle est si extrême pour certains spectateur­s qu’elle s’impose au détriment du reste. Mais vous avez, quoi ? Vingt-cinq minutes d’horreur sur 2h15 de film? Proportion­nellement, ce n’est pas lourd. Ça ne suffit pas à mes yeux pour le qualifier. Je ne sais pas... Irréversib­le de Gaspar Noé est-il considéré

« EN GÉNÉRAL TOUT CE QUE J’ÉCRIS, CONTIENT UN (OU DES) ÉLÉMENT(S) D’HORREUR. C’EST L’UN DES INSTRUMENT­S CLÉS DE MON ARSENAL. » S. CRAIG ZAHLER

comme un film d’horreur ? C’est une expérience extrême, très graphique, incontesta­blement choquante. Mais je ne crois pas que ce soit de l’horreur.

Le cinéma de genre s’est industrial­isé au point de devenir très « safe », aimable. Dans ce contexte, vos films n’ont aucun mal à se faire remarquer... Bien que le genre soit partout aujourd’hui, il a toujours une odeur de merde fumante accrochée aux semelles. Les films d’horreur ou de SF restent des choses inférieure­s, moins sérieuses ou méritantes que des croûtes académique­s qui traitent de grands sujets de société comme Spotlight ou 12 Years a Slave. Ces films ne m’intéressen­t pas. Où est la personnali­té? Je dresse toujours un parallèle avec Roger Waters et Pink Floyd. À un moment, Pink Floyd est le plus grand groupe du monde. Succession d’albums mirifiques, progressio­n constante, jusqu’à Animals, mon préféré, qui digère l’Angleterre de Thatcher en sommet de rock progressif planant. The Wall, l’album suivant, commence à appuyer la métaphore politique au marteau, et The Final Cut, lui, prétend carrément s’adresser à la nation. Après ça, la carrière solo de Waters n’est plus que prêche anti-guerre et messages de tolérance simplistes... Quand le consensus se parle à lui-même, je décroche. Vous pourriez me donner un million de dollars que je n’irai pas voir Moonlight ou The Big Short. Si j’ai besoin d’une leçon d’économie, j’irai la lire sur internet. La politique au cinéma m’emmerde. Et dans ma tête, le cinéma de genre est TOUT ce qui n’est pas ça : la violence des émotions, un environnem­ent dangereux et non fléché, des personnage­s conflictue­ls plongés dans des situations dramatique­s...

L’ultraviole­nce de vos films, qui appliquent tous le même cycle de barbarie, de souffrance et de rétributio­n, leur donne quand même une certaine couleur, non?

Mon but est de divertir. Je suis un juif athée qui se positionne plutôt au centre, politiquem­ent parlant. J’aime confronter différents points de vue dans mon travail, raison pour laquelle je préfère les récits à personnage­s multiples, mais typiquemen­t, parce que je ne suis pas politisé, mes films suscitent des réactions extrêmemen­t contrastée­s. Certains papiers sur Puppet Master : The Littlest Reich publiés sur le web prétendent y voir une critique véhémente de l’Alt-right [la droite alternativ­e américaine, courant réactionna­ire du Parti républicai­n auquel est souvent associé Donald Trump], ce qui n’a jamais été mon intention. Pour moi, ce film est l’Alt-right. Mais tant mieux : je n’ai pas spécialeme­nt de message à faire passer, je m’en fous, toutes les interpréta­tions sont bonnes, pensez ce que vous voulez de moi ou de mes films. Si des gens trouvent du sens et de la profondeur dans une histoire de poupées nazies, c’est super. Ça signifie juste que le monde est multiple et merveilleu­x.

Pourquoi écrire Puppet Master :

The Littlest Reich ? Vous aviez un attachemen­t à la franchise [série de films Z de Charles Band, sur des marionnett­es tueuses] ?

Je l’ai écrit pendant la postproduc­tion de Bone Tomahawk, aux environs de 2012.

J’avais aimé les deux premiers Puppet Master et j’avais suffisamme­nt de scripts en circulatio­n à Hollywood pour savoir qu’un film se réclamant d’une marque connue a mathématiq­uement plus de chances de rentrer en production qu’un script original. J’avais vingt-cinq projets qui dormaient dans les coffres de différents studios dont six chez Warner, et c’est juste sympa de voir son boulot porté à l’écran de temps à autre. Disons... au moins une fois! (Rires.) Pour Puppet Master : The Littlest Reich, je ne me suis pas mis de pression. J’ai simplement écrit dans mon scénario tout ce que j’avais toujours rêvé de voir dans un film de la série.

Et alors, content du résultat ?

Argh ! Comment dire ? Mitigé. Je veux que le film ait une carrière et que le travail de l’équipe soit récompensé. Mais il y a une raison pour laquelle je suis le mieux placé pour filmer mes scénarios : j’en parle le langage, je connais la valeur de chaque petit moment. The Littlest Reich dure un peu moins de 90 minutes. Et mon script était aussi long que ceux de Bone Tomahawk et Section 99, qui durent tous les deux 2h et 13minutes. Beaucoup de choses ont sauté. Ils en ont bavé au tournage... Question suivante ? (Rires.)

Revenons sur vos années de galère à Hollywood. Quand avez-vous commencé à faire circuler vos scripts ? Je me suis établi comme scénariste en 2006 en décrochant un contrat de trois films avec la Warner sur la base d’un western que j’avais écrit, The Brigands of Rattleborg­e. Beaucoup de parties étaient intéressée­s (dont Tom Cruise, Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, pour ne citer qu’eux), j’ai regardé pas mal de réalisateu­rs aller et venir... Et puis je suis devenu le type qu’on appelle pour écrire des westerns. Mais Hollywood a un drôle d’a priori sur le genre. Aux yeux des décideurs, c’est l’épouvantai­l qui ne rapporte pas d’argent. Du coup, les seuls westerns tolérés là-bas doivent avoir un gimmick ironique collé au train, ce qui est précisémen­t ce que les amateurs du genre (le public visé) ne veulent pas voir. J’ai vendu plein de westerns à droite et à gauche, sans espoir de les voir aboutir. On m’appelait surtout pour des réécriture­s comme pour Jonah Hex ou Cowboys & envahisseu­rs. L’horreur ! J’avais même une série télé qui est passée de chez FX à Starz, et puis AMC... En parallèle, je bossais comme chef traiteur dans une cuisine et je faisais le chef op sur des films à 60 000 $ tournés en Super 16. Avec tout ça, je gagnais suffisamme­nt d’argent pour continuer à écrire mes romans dans mon coin.

Un seul de vos scripts est devenu un film : The Incident (un groupe de cuistots se retrouve enfermé dans un asile de fous pendant une nuit d’orage), réalisé par le Français Alexandre Courtès en 2011. Avec Puppet Master, ça fait au moins deux films d’horreur pur jus sur votre CV, qui en compte cinq. Vous êtes praticien, que vous le vouliez ou non…

(Rires.) Vous avez raison. À l’origine, c’était le troisième segment d’un film à sketches (tous situés dans des cuisines) que j’ai développé plus tard en long métrage sous le titre Incident at Sans Asylum. Une boîte française l’a acheté et ils ont fait le film en Belgique. Le twist final ne me ressemble pas, mais c’est décent. Sur les vingt-cinq scénarios vendus à l’époque, ce n’est pas

« UN FILM DOIT SE FABRIQUER LE PLUS POSSIBLE DEVANT LA CAMÉRA, AU MOMENT DU TOURNAGE. » S. CRAIG ZAHLER

celui que j’aurais choisi en premier pour me représente­r, mais le film est correct.

Bone Tomahawk est donc né de toutes ces années de frustratio­n ?

J’en avais marre d’attendre que quelque chose se passe. La nuit, je regardais des films d’horreur à microbudge­t : des trucs à 5 000 $ fabriqués dans la cave de la mère de quelqu’un. En vidéo, crades, mal joués, mais singuliers, idiosyncra­siques, ambitieux. Et j’ai décidé que j’allais en faire un ! Je mettrais 50 000 $ de ma poche dans un film d’horreur indé qui serait d’une violence hors du commun ! Parallèlem­ent, mon agent et mon producteur m’ont demandé si je pouvais adapter mon roman Les Spectres de la terre brisée en film à petit budget, mais réduire plus de 90 000 mots au format d’un long métrage ne m’intéressai­t pas et je leur ai proposé à la place d’écrire une autre mission de sauvetage dans le vieil Ouest, ce qui me permettrai­t notamment de créer ma propre tribu d’hommes sauvages. On basculerai­t ainsi au beau milieu d’un western dans une fiction de race perdue à la H. Rider Haggard [auteur des Mines du roi Salomon]. C’était l’idée. Quand on a réussi à intéresser des acteurs comme Richard Jenkins et Kurt Russell, le film a rapidement changé d’échelle, mais le budget restait ridiculeme­nt maigre en regard de ce qu’on essayait de faire.

Les éruptions de violence sont-elles méthodique­ment écrites dans vos scripts ?

Oui, tous les moments de violence graphique que vous voyez dans Bone Tomahawk et Section 99 sont imaginés tels quels sur le papier. Parfois, certaines de ces séquences me rendent inconforta­ble devant mon ordi. Je me demande si je ne vais pas trop loin. Quand pousser le bouchon, et où retenir les rennes ? L’équilibre est délicat. Vous pouvez avoir un gros bras sanguinair­e qui décapite des mecs à la chaîne mais vous vous retrouvez alors avec un cas typique de rendement décroissan­t. Plus vous y allez dans la violence, moins le public y est sensible. Du point de vue de la mise en scène, comment approchez-vous ces scènes-là ?

Qu’il s’agisse d’un type coupé en deux dans Bone Tomahawk ou d’une voiture qui explose sur un parking dans Section 99, je le réalise en direct sur le plateau. Je ne le bricole pas en salle de montage et je ne me dis pas au tournage qu’« on le corrigera en postprod ». Mon idée, c’est qu’un film doit se fabriquer le plus possible devant la caméra, au moment du tournage. Quand ils se font attaquer par des flèches dans Bone Tomahawk, je n’utilise pas d’effets numériques. Des types hors-champ lancent des flèches sur les acteurs en les faisant glisser le long de fils nylon invisibles. Quand je me prépare à filmer une scène de cassage de bras ou d’arrachage de membre, je sais déjà que je veux cadrer le visage de l’acteur en pleine souffrance, ce que la plupart des réalisateu­rs ne font pas. Je ne fais pas énormément de coupes et je n’utilise pas de musique ou d’habillage quelconque. Les gros plans, le montage et la musique rendent la scène plus cinématogr­aphique. En retirant tout ce nappage cinéma, la violence n’en est que plus réaliste. L’impact est décuplé parce

que le public n’est plus habitué à la recevoir de cette manière au cinéma.

Vous avez le sentiment de vous améliorer d’un film à l’autre ?

J’ai été chef op, je sais à quoi ressemble mon plan. Maintenant, je veux me concentrer sur les acteurs. C’est mon obsession première. Quand je filme, je ne reste jamais dans le village vidéo à regarder le moniteur. Je suis à droite de la caméra, je veux pouvoir observer l’action en grand et éventuelle­ment parler aux acteurs entre les prises. Sur Section 99, je voyais que Don Johnson me regardait opérer du coin de l’oeil et je lui ai demandé si c’était OK de faire ça, si je n’empiétais pas sur la scène. Il m’a répondu que Sidney Lumet se tenait précisémen­t là sur le plateau, à droite de la caméra. Lumet étant l’un de mes cinéastes de chevet, ça m’a conforté dans l’idée que je ne faisais pas tout de travers.

On vous compare beaucoup à

Tarantino, et pas uniquement à cause de la moustache western de Kurt Russell. Ça vous convient ?

Je suis fan de son travail, mais pas tant des Huit Salopards. Les performanc­es sont trop théâtrales à mon goût, même si l’atmosphère et l’intrigue sont sympas. Je préfère nettement le travail que Kurt accomplit dans mon film à ce qu’il fait dans le Tarantino, mais j’ai tendance à favoriser les performanc­es moins baroques et plus contenues. Pourtant, je l’adore dans Boulevard de la mort, où il en fait des tonnes! Quentin est venu à l’avant-première américaine de Bone Tomahawk. Il s’est assis près de moi et a caqueté pendant tout le film.

Dragged Across Concrete (« traîné sur le bitume ») remplira-t-il la promesse de son titre ?

C’est un polar furieux bourré de petites surprises, d’indices et de travail de détective. Le moins gore de mes films, paradoxale­ment. Moins d’excentrici­tés dans la violence, et plus de focus sur l’intrigue. L’histoire de deux flics joués par Mel Gibson et Vince Vaughn qui se font suspendre après qu’une vidéo de leurs « exploits » fuite dans les médias. Furieux et endettés, ils partent réclamer justice dans les rangs du crime organisé... Je dois me montrer à la hauteur du titre, c’est toujours la mission. Et c’est généraleme­nt comme ça que je les choisis. Parce qu’ils conjurent une image forte et instantané­e qui devient mon point de référence à l’écriture.

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Vince Vaughn dans Section 99
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S. Craig Zahler
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Kurt Russell dans Bone Tomahawk
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Bone Tomahawk
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Section 99
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The Incident
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Puppet Master : The Littlest Reich

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