CHANNEL ZERO
Plus ou moins égarée dans les limbes de la programmation, cette petite anthologie d’horreur sans prétention (et sans grands moyens) n’en finit pas de se faire remarquer. Avis aux fans du genre.
Sous sa forme filmée, l’horreur est un genre diaboliquement exigeant en termes de rythme. Résultant d’un subtil dosage entre moments d’appréhension et décharges électriques dures, il implique une narration à mèche courte, de circonférence moyenne, capable d’entretenir le suspense et le mystère juste ce qu’il faut, de sorte à garantir l’efficacité intermittente de ses jump scares. Trop de suspense, et la pression devient insoutenable. Trop de jump scares, et l’effet en lui-même perd de sa force cathartique. Un équilibre (une tension) difficile à maintenir sur la durée, y compris pour un long métrage de deux heures. Pour cette raison, l’horreur pure ne s’est jamais très bien acclimatée au format série télé, ou alors sous la forme de récits contenus (Alfred Hitchcock présente, Les Contes de la crypte, dernièrement Black Mirror). La « délicatesse » du genre et son sens aigu de l’économie supportent mal les histoires à rallonge étalées sur dix épisodes ou plus. American Horror Story le prouve chaque saison en invoquant à mi-parcours des twists grotesques et licencieux pour relancer l’intérêt. Channel Zero est peut-être la première série d’horreur qui réussit à déjouer les attentes du feuilleton et à se couler naturellement dans un cadre télé. Chaque saison raconte une histoire complète librement adaptée d’une creepypasta, du nom de ces fictions nées et diffusées sur internet, au goût de légendes urbaines (Slenderman, la plus connue, inspira une tentative de meurtre bien réelle). Les histoires sont longues mais pas trop, et la série ne cultive pas tant les cris d’effroi qu’une ambiance sourde et oppressante de rêve qui débloque. Un sentiment de malaise constant et prolongé.
À LA STEPHEN KING. Noyée dans le flot de médiocrités diffusées sur la chaîne SyFy, Channel Zero est une sorte de rareté à l’ère de la Peak TV (ce terme qui désigne la surabondance de séries que nous connaissons aujourd’hui) : un vrai trésor caché, la meilleure série que personne ne regarde, tirée du genre actuellement le plus populaire sur la planète (l’horreur rurale et psychologique à la Stephen King). La qualité de son casting aurait dû mettre la puce à l’oreille. Dans la première saison, intitulée Candle Cove, le toujours flippant Paul Schneider joue un psy pour enfants qui retourne dans son patelin natal pour se confronter aux erreurs de sa mère (Fiona Shaw) et à la résurgence d’un show TV de marionnettes qui le terrifiait quand il était gosse, mais dont lui seul semble se souvenir. De production modeste, voire « naturaliste », les six épisodes (signés Craig William Macneill, réalisateur de The Boy) ont une sensibilité indé qui est celle de la série.
CROQUE-MITAINES MASQUÉS. La saison 2 s’empare littéralement du It Follows de David Robert Mitchell. Sommet stylistique du show, No-End House est une méditation façon La Quatrième Dimension sur le deuil. Le calvaire d’une ado brisée par la mort de son père (John Caroll Lynch) qui bascule via une étrange maison dans un monde banlieusard « bizarro », proche du sien mais avec ses règles propres, ses habitants-copies et ses croque-mitaines masqués. Don Mancini, créateur de la poupée Chucky, est producteur sur la série et Harley Peyton, un ancien de Twin Peaks, en écrit les épisodes. Tout ça fait sens à l’écran... Butcher’s Block, dernière saison en date, est un peu moins convaincante avec ses gnomes en capuche et son ambiance Phantasm réchauffée, mais Rutger Hauer y est superbe en boucher-guérisseur mystique. Dandy au chapeau mou, il joue une sorte d’Hannibal Lecter des enfers. Son meilleur rôle depuis 1987.