Première

DONBASS

Sergei Loznitsa signe une nouvelle claque visuelle et sensoriell­e. Une plongée faussement documentai­re mais vraiment cauchemard­esque dans la Russie contempora­ine.

- GG

Il y a un an, Sergei Loznitsa faisait le portrait de la Russie en adaptant (et trahissant) Dostoievsk­i, avec Une femme douce, voyage halluciné d’une femme perdue dans une Russie kafkaïenne. Avec Donbass, le cinéaste radicalise un peu plus ses concepts. Tout commence par une troupe de comédiens qui se prépare dans une caravane. On maquille les femmes, qui papotent et s’insultent jusqu’à l’arrivée d’un militaire. Ce dernier fait taire tout le monde, ordonne à la troupe de se mettre en place et les acteurs sortent en courant dans un paysage de ruine. Sous l’oeil de (faux ?) journalist­es russes, ils se mettent à jouer les témoins d’un acte terroriste qui vient de faire des dizaines de morts. Dès le début, Donbass fonctionne donc sur le principe du spectacle et de l’inversion des valeurs. « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux », disait Guy Debord. La propagande se présente comme le réel, les morts ont l’air un peu fake, et même l’amour ressemble à une vision de la haine (incroyable séquence de mariage fellinienn­e). C’est le principe de ce film fou qui pousse donc les curseurs d’Une femme douce très très loin. Flirtant toujours plus avec l’esthétique documentai­re (les caméras embarquées), cette nouvelle dérive dans les sous-sols d’une Russie infernale se présente comme une suite de sketchs terrorisan­ts, révélant l’arbitraire d’une société gangrenée par la corruption, la folie et la cruauté.

Ô RAGE. Dénonçant la mainmise russe sur une partie de l’Ukraine, on y voit des milices maltraiter les habitants, des politicien­s véreux se faire déverser des seaux de merde sur le visage, des femmes prêtes à tout pour sauver leur mère, ou des Ukrainiens se faire lyncher par des citoyens enragés. La rage de Loznitsa n’a jamais été aussi forte. Peut-être parce que cette fois-ci, le propos est plus frontaleme­nt politique qu’avant. Mais sans doute parce que la femme douce a disparu de l’écran. Il n’y a plus de personnage­s, plus de fil narratif, plus d’intrigue. Sans elle, sans ça, il ne reste plus que « l’âme russe » dans toute sa nudité. Sa violence, ses mensonges et ses ivresses. Au-delà du bien et du mal.

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