KILLING EVE
La showrunneuse Phoebe Waller-Bridge (Fleabag, Crashing) prétexte une série d’espionnage pour brosser le portrait en miroir de deux femmes qui se cherchent, entre fascination et répulsion. Dans le mille.
C’était il y a seulement deux ans. Phoebe Waller-Bridge apparaissait pour de bon sur les radars des sériephiles avec Fleabag. Celle que l’on avait découverte à l’écran dans la deuxième saison de Broadchurch se mettait en scène dans cette dramédie grinçante, où son personnage pratiquait l’auto-sabotage de manière déconcertante et avec une certaine habileté. Six mois plus tôt était diffusée Crashing, minisérie dont elle est aussi à l’origine. Et c’est sans coup férir, en attendant la deuxième saison de Fleabag et après un passage discret par la galaxie Star Wars et son spin-off Solo (l’équipière droïde de Lando Calrissian, c’était elle), qu’elle fait son come-back avec une nouvelle botte secrète répondant au nom de Killing Eve. Adaptation en huit épisodes d’une suite de romans de Luke Jennings (Codename Villanelle) dans le pur style espionnage, la série suit Eve Polastri, agent du MI5, qui ronge son frein en attendant la mission qui la sortira de sa routine ainsi qu’une tueuse à gages qui sème les corps sur son passage avec une inventivité à toute épreuve... et qui va devenir le problème de la première.
IMPRÉVISIBLE. Respectant les codes du thriller dans une intrigue très bien servie en twists, la showrunneuse trouve, avant tout, matière à s’exprimer dans ses personnages féminins, passionnants de complexité et parfaitement castés. Eve, c’est Sandra Oh, sortie de Grey’s Anatomy et dont l’entrée en scène vaut parfaite transition entre la série médicale et sa nouvelle vie à l’écran. Le titre, trompeur, fait d’Eve le sujet central de la série. Elle partage pourtant l’écran (et l’intérêt du spectateur) à égalité avec celle qui deviendra sa meilleure ennemie, incarnée par la Britannique Jodie Comer (Thirteen). L’une ne va pas sans l’autre, mais c’est cette dernière la vraie révélation du show (injustement oubliée par les Emmy Awards cette année). Quand son expression froide et sa moue boudeuse laissent brusquement la place à un catalogue de mimiques azimutées, c’est bien elle qui définit le mieux la série. À son image, elle ne cessera jamais d’être imprévisible. Phoebe Waller-Bridge va construire Killing Eve sur le socle formé par ce duo qui se cherche, se trouve... Chacune en apprend plus sur son alter ego et sur elle-même dans la confrontation. La fascination qu’elles exercent l’une sur l’autre conduit à une vertigineuse inversion des rapports de force, qui menace à tout moment de faire basculer l’équilibre du récit.
PRÉCISION CHIRURGICALE. L’une des plus remarquables scènes de la série (et il y en a beaucoup) oppose les deux femmes dans un face-à-face improbable, déjà anthologique. « Peut-on tirer une chose au clair avant d’aller plus loin ? Est-ce que tu portes un pull-chemise deux-en-un ou deux vêtements séparés ? » lance soudainement l’une sous la menace de l’autre. C’est dans l’éclatement des conventions, à l’oeuvre dans un genre habituellement très masculin, et les saillies pleines de cynisme, que l’on achève de retrouver l’auteure de Fleabag. La séquence concentre tout l’ADN d’une série où les personnages existent pleinement en se foutant pas mal de sortir du cadre. La caractérisation est maligne, les dialogues – dont même les plus anodins prennent tout leur sens lorsqu’on revoit l’ensemble des épisodes – sont d’une précision chirurgicale. À l’écriture, comme à la réalisation, on évite tout effet superflu. Ou presque. En approchant du dénouement, on se dit que Killing Eve aurait pu s’éviter une ultime péripétie alors qu’une saison 2 (officialisée avant même le lancement de la première sur BBC America) est en préparation. La pirouette est osée. La série va encore une fois là où on ne l’attend pas.
REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Fleabag (2016), Hannibal (2013), Luther (2010)
Pays USA • Créée par Phoebe Waller-Bridge • Avec Sandra Oh, Jodie Comer, Fiona Shaw... • Nombre d’épisodes vus 8 • Sur Canal+