SECTION 99
Deuxième film et deuxième direct-to-video pour S. Craig Zahler après Bone Tomahawk : Section 99, un film de prison ultraviolent où Vince Vaughn tient l’un de ses meilleurs rôles.
Il est réjouissant d’imaginer les participants à un festival de cinéma aussi noble et installé que celui de Venise assister à la projection de Section 99 (on peut préférer quand même son titre original Brawl in Cell Block 99, soit en VF « bagarre dan la Section 99 »). Il était montré hors compétition lors de la 73e Mostra, en septembre 2017, une édition qui a vu le triomphe d’un autre film de genre, La Forme de l’eau. Si le film de monstre de Guillermo del Toro est romantique et prestigieux, Section 99 de S. Craig Zahler se situe de l’autre côté du spectre. Bradley Thomas, ancien boxeur au tempérament un rien brutal, a une croix tatouée sur l’arrière de son crâne rasé et détruit une bagnole à mains nues dans les cinq premières minutes du film, parce que sa femme menace de le quitter. Viré de son boulot de garagiste, il devient transporteur de drogue pour un parrain local. Après un deal qui tourne à l’embuscade, il refuse de balancer son patron aux flics et se retrouve en prison où il va devoir accepter un marché très dérangeant. Ce qui a commencé comme un drame introspectif façon Lodge Kerrigan se transforme alors en une odyssée carcérale qui amènera le héros jusqu’au fameux « bloc 99 » du titre où sont gardés les détenus les plus violents. Et en parlant de violence, on peut dire que ça cogne. On a rarement vu autant de fractures ouvertes dans un seul film. Section 99 ressemble à un catalogue de la cruauté physique : fracture de bras, écrasage de gueule contre le bitume, lynchage en règle, coup de shotgun dans le buffet... La moindre bagarre finit toujours très mal, mais cette virée barbare est accentuée par le découpage très sobre du film, qui privilégie le plan séquence en cadrant les personnages au plus large. On vous épargne les quinze dernières minutes, d’un gore hallucinant, littéralement jusqu’au-boutiste. Pourtant, d’après notre collègue qui a eu la chance d’assister à la projection vénitienne, « personne n’est sorti de la projection, c’était très calme ».
INHERENT VINCE. Accueil vénitien poli, voire indifférent, et ultraviolence : on comprend mieux pourquoi Section 99 sort chez nous directement en vidéo, ce qui était déjà le cas du précédent film de S. Craig Zahler, l’excellent Bone Tomahawk. D’autant que Section 99 n’a pas le vernis noble du western et l’héroïsme à l’ancienne de ce dernier film. C’est pourtant un morceau de cinéma hyperpuissant, volontairement segmentant (la violence finale sans limite flirte avec le Z) offrant à Vince Vaughn [l’un des acteurs comiques US des années 2000] le rôle de sa vie. Incarnant ce personnage de cogneur de l’extrême avec un naturel troublant, le comédien traverse le film comme une machine de chair et d’os, loyale jusqu’à la mort, que rien ne peut arrêter (sa façon de se déplacer dans le cadre est incroyable). À travers Bradley Thomas, on sent le talent d’écriture et de direction de S. Craig Zahler (également auteur de polars bien crades) qui aime déranger le spectateur dans ses habitudes et son confort face à la fiction. Mine de rien, en deux films, le réalisateur s’est installé comme le nouveau prince du cinéma impur. Comme Bradley, il compte bien aller jusqu’au bout de son projet de cinéma radical et de sa volonté de transgression. Est-ce que ça le condamne pour autant aux limbes du DTV ? Vérification ce mois-ci : son nouveau film, un polar centré sur deux flics virés de la police qui plongent dans l’enfer de la pègre (tiens donc) avec Vince Vaughn et Mel Gibson, est présenté hors compétition au festival de Venise. Ça s’appelle Dragged Across Concrete. Ou, en bon français, « traîné sur le béton ». On attend de voir dans quel état sortiront les festivaliers. En tout cas, ça résume assez bien l’effet que procure la vision d’un film de S. Craig Zahler.