Psychologies (France)

Trois scénarios pour éviter le pire

“Je te dis ce qui ne me convient pas et, toi, tu t’engouffres dans la brèche !” Situation fréquente dans un couple. Mony Elkaïm, thérapeute familial, décode des erreurs de communicat­ion qui provoquent ce que nous redoutons.

- Par Hélène Fresnel

Durant ses années de pratique, Mony Elkaïm a vu défiler nombre de couples enkystés dans un fonctionne­ment névrotique. Il en a tiré des conviction­s, qu’il détaille dans son dernier ouvrage, Vivre en couple. La première est qu’il faut très vite fixer les lignes à ne pas franchir : « Toutes les relations se créent par sculpture mutuelle. Nous ne pouvons dire et faire ce que nous faisons que parce que l’autre, sans s’en rendre compte, participe à ce type de lien, éclaire le thérapeute. Il est important de s’interroger dès le début de la relation : de quoi ai-je envie ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Et d’aimer suffisamme­nt son conjoint pour lui avouer calmement : “Voici ce que j’éprouve quand tu agis comme cela. Je te le dis parce que tu es important pour moi.” » Seconde conviction : mieux vaut se préoccuper des difficulté­s de l’autre que des siennes. « Dans le couple, chacun est à la fois geôlier et prisonnier : ce que je reproche à l’autre correspond à des croyances forgées par les microtraum­atismes de mon existence et m’empêche de me déchirer intérieure­ment. » Si l’on comprend ça, alors il est plus facile d’aider son conjoint à évoluer que de changer soi-même. « Ce sont souvent nos compagnes ou nos compagnons qui nous aident à assouplir nos croyances négatives », observe le spécialist­e. Ne sous- estimez pas la dimension thérapeuti­que du lien amoureux. Aucun scénario névrotique n’est voué à être indéfinime­nt rejoué. La preuve par l’exemple.

1 LA PEUR DE S’ENGAGER ABOUTIT À TENIR L’AUTRE À DISTANCE

Ce que vous dites : « Est- ce que je peux récupérer la clef de mon appartemen­t ? J’ai besoin d’un double » ; « Je ne peux pas te voir plus de trois fois par semaine » ; « Je ne veux pas t’encombrer en laissant des affaires chez toi »… L’autre sent votre réticence à vous investir.

Ce que cela signifie : vous avez peur de créer un lien qui vous piège. Vous avez senti une trop grande proximité avec l’autre et vous craignez d’étouffer. Vous êtes envahi par la croyance qu’il est difficile de garder son autonomie si l’on commence à dépendre de quelqu’un. Pire, si vous lui exprimez vos craintes, il risquerait, imaginez-vous, de partir.

Ce que cela interroge : qu’est-ce qui vous fait tant craindre la dépendance ? Dans les relations affectives, il est impossible de ne pas dépendre de l’autre. Un engagement se crée nécessaire­ment de part et d’autre.

Ce qui doit être dit : « Je n’arrive pas à m’investir parce que je crains de trop dépendre de toi. » Il est important que votre partenaire ne vous questionne pas sur votre passé. Ce qui ne sera pas évident pour lui, surtout s’il souffre d’un manque de reconnaiss­ance et craint le rejet. Mais plus son comporteme­nt s’accentuera, plus vous vous enfermerez dans votre peur. S’il est suffisamme­nt solide, il parviendra à rester léger : « Écoute, je t’aime, mais ça ne veut pas dire que je t’emprisonne. Je t’aime quand tu es libre. » En le testant, vous vous apercevrez peut-être qu’il vous donne bien l’espace de liberté auquel vous aspirez, et votre croyance va se modifier. Vous allez innover, inaugurer le fait que quelqu’un puisse être proche de vous sans avoir l’impression d’étouffer.

2 LA CRAINTE DE L’INFIDÉLITÉ PEUT CRÉER LE DANGER

Ce que vous dites : « Je t’ai vu parler avec cette personne toute la soirée. Elle te plaît, c’est ça ? » ; « Où étais-tu ? » ; « Qui est ce/cette X à qui tu envoies des textos ? »… Vous vous montrez suspicieux et votre partenaire peut en être blessé ou agacé.

Ce que cela signifie : la jalousie est émouvante parce qu’elle parle de vos fragilités, de votre manque de confiance en vous. Chaque fois que votre partenaire regarde quelqu’un, discute avec lui, vous revivez une situation douloureus­e.

Ce que cela interroge : pourquoi n’arrivez-vous pas à croire que vous puissiez être le ou la première ? Êtes-vous passé après votre frère ou votre soeur dans votre enfance ? Avez-vous tellement souffert du sentiment d’être la cinquième roue du carrosse que vous n’arrivez pas à en sortir ? Par manque d’assurance, vous reproduise­z cette croyance dans votre vie affective.

Ce qui doit être dit : il est injuste de penser qu’un seul des deux met le couple en danger avec ses craintes. Cela se passe toujours à deux. La difficulté est de trouver le mécanisme qui régit cette porte à tambour dans laquelle les deux sont pris : « Arrête de me pousser dans le dos ! » dit l’un. « Mais non, c’est toi qui me pousses dans le dos ! » répond l’autre. Chacun est victime, piégé par un engrenage. Ma peur ne me condamne pas si l’autre est flexible, s’il n’agit pas de manière à renforcer ma croyance. Si vous êtes jaloux, l’autre doit éviter de se mettre en colère et tout faire pour vous montrer que votre jalousie n’a pas lieu d’être. Quand vous faites ces remarques, vous demandez à être rassuré. Vous pouvez reconnaîtr­e votre fragilité, votre peur d’être trompé, mal aimé, mais c’est aussi et plutôt à votre partenaire de prendre la parole, en vous disant qu’il ne voit que vous, en vous prouvant que vous passez d’abord. Il peut vous expliquer être touché esthétique­ment par la grâce d’un mouvement, d’une démarche, sans que cela entame son attachemen­t : « Pour ce qui est de l’aspect intime et sexuel, il n’y a que toi et moi. » Avec le temps, la confiance se met en place et vous évoluerez.

3 LA DIFFICULTÉ À DEMANDER DE L’AIDE FINIT PAR NOUS EN PRIVER Ce que vous dites : « J’en ai assez de tout faire » ; « Tu ne t’occupes jamais des enfants » ; « Je passe mon temps à ranger derrière toi » ; « Je vais le faire moi-même, ça ira plus vite »… Votre conjoint ne peut que baisser les bras. Ce que cela signifie : il vous est impossible de déléguer. Et lorsque vous finissez par demander de l’aide, celle-ci ne correspond jamais à celle que vous attendez, car vous êtes tellement exigeant que vous n’obtenez jamais ce que vous souhaitez.

Ce que cela interroge : votre éducation. Avez-vous été élevé dans un milieu où vos parents avaient une telle exigence par rapport à vous que l’autre ne peut jamais être à la hauteur ? Avez-vous grandi dans un monde où vous n’avez jamais pu compter sur les autres ?

Ce qui doit être dit : vous pouvez reconnaîtr­e que vos exigences sont très élevées, que vous avez du mal à faire confiance aux autres, sans que votre partenaire vous envisage nécessaire­ment comme un ou une insupporta­ble maniaque. S’il ne craint pas les reproches, il peut accueillir vos remarques sans s’offusquer, essayer de commencer à partager les responsabi­lités et devenir force de propositio­n : « Je suis très touché par ton investisse­ment dans la famille, l’éducation de nos enfants… mais je vois les choses un peu différemme­nt. Pouvons-nous en discuter ? Comment nous organiser pour que je respecte ta manière de faire et que tu prennes en compte la mienne ? Nous pouvons sûrement trouver un terrain d’entente ou être complément­aires. Le fait que tu aies raison ne veut pas dire que j’ai tort. » Il peut proposer de distribuer les charges, d’effectuer des tâches pour lesquelles le risque d’erreur est minimal : descendre les poubelles, débarrasse­r, prendre en charge la comptabili­té familiale… Et vous en soulager.

 ??  ?? MONY ELKAÏM Neuropsych­iatre et figure de la thérapie familiale, il est l’auteur, entre autres, de Si tu m’aimes, nem’aime pas (Points, “Essais”) et vient de publier Vivre en couple, plaidoyer pour une stratégie du pire (ou du meilleur) (Seuil, 114 p., 14,50 €).
MONY ELKAÏM Neuropsych­iatre et figure de la thérapie familiale, il est l’auteur, entre autres, de Si tu m’aimes, nem’aime pas (Points, “Essais”) et vient de publier Vivre en couple, plaidoyer pour une stratégie du pire (ou du meilleur) (Seuil, 114 p., 14,50 €).

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