Je n’aime pas travailler en équipe
TROP LABORIEUX, TROP CHRONOPHAGE. C’est ainsi que Sophie, employée de banque de 35 ans, juge le travail en équipe. Elle le fuit tant qu’elle le peut. « Je n’ai pas le temps, cela me stresse, même : se mettre à la place de l’autre, comprendre son point de vue tout en existant également demande trop d’efforts. » Pas de doute, « les autres sont encombrants, avance le coach Benjamin Guiguet1. La réunion d’individualités demande effectivement plus d’énergie, d’investissement. Mais, en général, pour un résultat bien plus créatif et excitant ». Tâchons alors de comprendre pourquoi cela relève parfois d’un enfer professionnel.
Je suis trop indépendant. Certains l’affirment : le travail collectif n’est pas fait pour eux. Très autonomes, ils aiment faire cavalier seul. Les autres ne les intéressent pas vraiment, voire les agacent. Le problème ? Nous sommes constamment en interaction avec eux. « On touche ici une question philosophique : où en est notre sens de l’altérité ? interroge Benjamin Guiguet. Cette curiosité, cet amour pour l’autre est une racine du vivre-ensemble. » Sachant qu’il restera toujours différent de nous. Pour Adrien Chignard, psychologue du travail, fonctionner en équipe suppose d’ailleurs « de mettre la relation au-dessus de l’ego ». J’ai peur de perdre le contrôle. « J’aime vérifier mon travail et en être l’unique responsable. Je ne veux pas être garante de celui des autres ! S’ils le font mal, cela me décrédibilise », s’exclame Sophie. OEuvrer à plusieurs, c’est partager les tâches, mais aussi notre sentiment de maîtrise de la situation. « En entreprise, on n’a jamais le contrôle total sur la finalité, rappelle Adrien Chignard. Mais on peut avoir peur de perdre le contrôle sur les moyens. » Parmi eux : le temps dont nous disposons, les méthodes utilisées, la qualité du résultat fourni… « Tout projet engage notre identité. Si la qualité est dégradée, par exemple, notre image de nous l’est aussi. » D’ailleurs, l’absence de fierté du travail bien fait figure parmi les facteurs de stress.
Mon équipe ne fonctionne pas bien. « Mes collègues remettent constamment en cause le travail des autres, déplore Sophie. Il n’y a pas de confiance, il faut se justifier sans cesse, c’est épuisant. » Problèmes d’organisation, mésententes, projets qui n’avancent pas… De nombreuses équipes dysfonctionnent. « Il faut s’y attendre », explique Adrien Chignard, qui cite le psychiatre et psychanalyste Christophe Dejours : « Travailler, c’est échouer. » Dans un groupe, les choses ne se passent jamais comme prévu. « Ce qui compte, c’est de prévoir des temps de débriefing réguliers, pour évoquer la façon dont on fonctionne ensemble. Pour comprendre ce qui marche ou pas, ce qui s’est mal passé… » Nommer les problèmes est primordial. « C’est arriver à se confronter sans s’affronter », résume Benjamin Guiguet. Avec deux valeurs nécessaires à toute collaboration : « Le non-jugement et la bienveillance. » 1. Également développeur de programmes de méditation en entreprise.