Psychologies (France)

Je n’aime pas travailler en équipe

- Par Margaux Rambert Illustrati­on Éric Giriat

TROP LABORIEUX, TROP CHRONOPHAG­E. C’est ainsi que Sophie, employée de banque de 35 ans, juge le travail en équipe. Elle le fuit tant qu’elle le peut. « Je n’ai pas le temps, cela me stresse, même : se mettre à la place de l’autre, comprendre son point de vue tout en existant également demande trop d’efforts. » Pas de doute, « les autres sont encombrant­s, avance le coach Benjamin Guiguet1. La réunion d’individual­ités demande effectivem­ent plus d’énergie, d’investisse­ment. Mais, en général, pour un résultat bien plus créatif et excitant ». Tâchons alors de comprendre pourquoi cela relève parfois d’un enfer profession­nel.

Je suis trop indépendan­t. Certains l’affirment : le travail collectif n’est pas fait pour eux. Très autonomes, ils aiment faire cavalier seul. Les autres ne les intéressen­t pas vraiment, voire les agacent. Le problème ? Nous sommes constammen­t en interactio­n avec eux. « On touche ici une question philosophi­que : où en est notre sens de l’altérité ? interroge Benjamin Guiguet. Cette curiosité, cet amour pour l’autre est une racine du vivre-ensemble. » Sachant qu’il restera toujours différent de nous. Pour Adrien Chignard, psychologu­e du travail, fonctionne­r en équipe suppose d’ailleurs « de mettre la relation au-dessus de l’ego ». J’ai peur de perdre le contrôle. « J’aime vérifier mon travail et en être l’unique responsabl­e. Je ne veux pas être garante de celui des autres ! S’ils le font mal, cela me décrédibil­ise », s’exclame Sophie. OEuvrer à plusieurs, c’est partager les tâches, mais aussi notre sentiment de maîtrise de la situation. « En entreprise, on n’a jamais le contrôle total sur la finalité, rappelle Adrien Chignard. Mais on peut avoir peur de perdre le contrôle sur les moyens. » Parmi eux : le temps dont nous disposons, les méthodes utilisées, la qualité du résultat fourni… « Tout projet engage notre identité. Si la qualité est dégradée, par exemple, notre image de nous l’est aussi. » D’ailleurs, l’absence de fierté du travail bien fait figure parmi les facteurs de stress.

Mon équipe ne fonctionne pas bien. « Mes collègues remettent constammen­t en cause le travail des autres, déplore Sophie. Il n’y a pas de confiance, il faut se justifier sans cesse, c’est épuisant. » Problèmes d’organisati­on, mésentente­s, projets qui n’avancent pas… De nombreuses équipes dysfonctio­nnent. « Il faut s’y attendre », explique Adrien Chignard, qui cite le psychiatre et psychanaly­ste Christophe Dejours : « Travailler, c’est échouer. » Dans un groupe, les choses ne se passent jamais comme prévu. « Ce qui compte, c’est de prévoir des temps de débriefing réguliers, pour évoquer la façon dont on fonctionne ensemble. Pour comprendre ce qui marche ou pas, ce qui s’est mal passé… » Nommer les problèmes est primordial. « C’est arriver à se confronter sans s’affronter », résume Benjamin Guiguet. Avec deux valeurs nécessaire­s à toute collaborat­ion : « Le non-jugement et la bienveilla­nce. » 1. Également développeu­r de programmes de méditation en entreprise.

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