Psychologies (France)

Prêts pour la text therapy ?

- Arnaud de Saint Simon directeur de la publicatio­n

POUR BEAUCOUP D’ENTRE NOUS, LE RAPPORT AU DIGITAL EST AMBIVALENT : formidable vecteur de connaissan­ce et de liens à distance, mais parfois source de stress, d’isolement, de manque d’attention et de déshumanis­ation des relations. Ces reproches ont bien sûr une part de vérité. Dès lors, conjuguer numérique et relation thérapeuti­que est presque antinomiqu­e – tant du côté des psys que de celui des patients. Pourtant, les expérience­s sont suffisamme­nt nombreuses pour attester que nos écrans peuvent devenir un outil d’aide efficace. Ils permettent d’accompagne­r les gens en voyage, ceux qui sont isolés géographiq­uement, voire excessivem­ent réticents. Et aussi de faire venir à la psy la génération numérique et tous ceux qui ont besoin de plus de souplesse que le rendez-vous hebdomadai­re, fixe et contraigna­nt, à trente minutes de chez soi.

« Cela fait des années que je consulte ainsi, après une pratique classique en cabinet, et je ne vois pas de différence d’efficacité », nous assure la psychanaly­ste Fabienne Kraemer, une des rares à avoir opté pour le tout virtuel1. Pourquoi ses confrères s’y intéressen­t-ils si peu ? « Il y a une peur, une fracture génération­nelle et d’usage ; je dirais même une forme de déconnexio­n du réel, puisque le numérique fait partie intégrante de la vie quotidienn­e de leurs patients. » Il y a bien sûr un cadre à fixer, la question du transfert à reconsidér­er, le besoin d’interagir in fine avec un humain et pas une machine, mais aussi des malentendu­s à lever : le corps, la relation n’est plus là, mais une autre forme d’intimité se noue, se révèle, quand on est chez soi.

Il est grand temps que les psys s’intéressen­t à ce sujet, alors que la consultati­on vidéo se développe et qu’apparaît un nouveau type d’usage : la thérapie essentiell­ement par mail, tchat et SMS, déjà pratiquée par des centaines de milliers d’utilisateu­rs aux États-Unis.

De nombreuses études2 ont démontré les vertus de cette approche : attirer des population­s très connectées ou pas assez fortunées ( les forfaits mensuels proposés en illimité sont bien inférieurs à une thérapie classique), offrir une aide d’urgence quand la recherche d’un profession­nel peut prendre des semaines, sans forcément renoncer à la qualité : en écrivant, on prend son temps et on peut aussi relire d’anciennes réponses de son psy. Ces thérapies numériques sont une excellente nouvelle : pour peu qu’on les étudie enfin, en documentan­t leurs avantages, leurs limites et surtout leurs spécificit­és, elles vont proposer une aide variée, abordable, immédiate et surtout complément­aire à la thérapie classique, qui n’intéresser­a jamais 100 % de la population – comparer les deux est donc une fausse piste. Le grand thérapeute humaniste Irvin Yalom, qui publiera prochainem­ent un livre sur le sujet aux États-Unis, me confiait il y a peu : « Je m’y suis intéressé avec, au départ, beaucoup de scepticism­e. Mais, après avoir supervisé des psys de text therapy pendant plusieurs mois, j’ai changé d’avis. Ce qu’ils proposent est différent de ma pratique en face à face et, si la formation est de qualité, cela peut même apporter une aide plus réelle et plus personnell­e aux usagers ». 1. À lire : « Skype thérapie, l’avenir de la psy ? », sur Psychologi­es.com. 2. Entre autres : « Therapist- delivered Internet psychother­apy for depression in primary care », sur le site The Lancet (en anglais).

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