Prêts pour la text therapy ?
POUR BEAUCOUP D’ENTRE NOUS, LE RAPPORT AU DIGITAL EST AMBIVALENT : formidable vecteur de connaissance et de liens à distance, mais parfois source de stress, d’isolement, de manque d’attention et de déshumanisation des relations. Ces reproches ont bien sûr une part de vérité. Dès lors, conjuguer numérique et relation thérapeutique est presque antinomique – tant du côté des psys que de celui des patients. Pourtant, les expériences sont suffisamment nombreuses pour attester que nos écrans peuvent devenir un outil d’aide efficace. Ils permettent d’accompagner les gens en voyage, ceux qui sont isolés géographiquement, voire excessivement réticents. Et aussi de faire venir à la psy la génération numérique et tous ceux qui ont besoin de plus de souplesse que le rendez-vous hebdomadaire, fixe et contraignant, à trente minutes de chez soi.
« Cela fait des années que je consulte ainsi, après une pratique classique en cabinet, et je ne vois pas de différence d’efficacité », nous assure la psychanalyste Fabienne Kraemer, une des rares à avoir opté pour le tout virtuel1. Pourquoi ses confrères s’y intéressent-ils si peu ? « Il y a une peur, une fracture générationnelle et d’usage ; je dirais même une forme de déconnexion du réel, puisque le numérique fait partie intégrante de la vie quotidienne de leurs patients. » Il y a bien sûr un cadre à fixer, la question du transfert à reconsidérer, le besoin d’interagir in fine avec un humain et pas une machine, mais aussi des malentendus à lever : le corps, la relation n’est plus là, mais une autre forme d’intimité se noue, se révèle, quand on est chez soi.
Il est grand temps que les psys s’intéressent à ce sujet, alors que la consultation vidéo se développe et qu’apparaît un nouveau type d’usage : la thérapie essentiellement par mail, tchat et SMS, déjà pratiquée par des centaines de milliers d’utilisateurs aux États-Unis.
De nombreuses études2 ont démontré les vertus de cette approche : attirer des populations très connectées ou pas assez fortunées ( les forfaits mensuels proposés en illimité sont bien inférieurs à une thérapie classique), offrir une aide d’urgence quand la recherche d’un professionnel peut prendre des semaines, sans forcément renoncer à la qualité : en écrivant, on prend son temps et on peut aussi relire d’anciennes réponses de son psy. Ces thérapies numériques sont une excellente nouvelle : pour peu qu’on les étudie enfin, en documentant leurs avantages, leurs limites et surtout leurs spécificités, elles vont proposer une aide variée, abordable, immédiate et surtout complémentaire à la thérapie classique, qui n’intéressera jamais 100 % de la population – comparer les deux est donc une fausse piste. Le grand thérapeute humaniste Irvin Yalom, qui publiera prochainement un livre sur le sujet aux États-Unis, me confiait il y a peu : « Je m’y suis intéressé avec, au départ, beaucoup de scepticisme. Mais, après avoir supervisé des psys de text therapy pendant plusieurs mois, j’ai changé d’avis. Ce qu’ils proposent est différent de ma pratique en face à face et, si la formation est de qualité, cela peut même apporter une aide plus réelle et plus personnelle aux usagers ». 1. À lire : « Skype thérapie, l’avenir de la psy ? », sur Psychologies.com. 2. Entre autres : « Therapist- delivered Internet psychotherapy for depression in primary care », sur le site The Lancet (en anglais).