La zen attitude ?
Pas pour moi !
… mais sans forcer sa nature
Marie-Louise, 38 ans, professeure d’anglais, a essayé plusieurs techniques pour « se calmer et se centrer ». En vain. Ni le qi gong, « mortellement ennuyeux », ni la visualisation, « compliquée », ne sont venus à bout de son hyperactivité. « C’est mon médecin homéopathe qui m’a rassurée et décomplexée, en me disant que j’idéalisais le calme, et qu’en réalité j’espérais atteindre un état qui me permettrait de me délester de ma culpabilité de perfectionniste. Il a ajouté que je devais accepter mes limites, mes failles, et porter ma conscience sur ce que mon énergie générait de positif pour moi et autour de moi. » Car là est l’enjeu : ne pas forcer sa nature en essayant d’entrer dans des moules, trop petits ou trop grands.
Osons le dire, aucun thérapeute sérieux ne peut faire du calme une finalité. Ce serait contraire à ce que l’on connaît du psychisme humain. « C’est un idéal illusoire, inaccessible, confirme Stéphanie Hahusseau. L’humain est physiologi- quement et psychiquement “intranquille”. Nous abritons en nous des pulsions, des conflits. Nous nous savons mortels. Comment être tranquille avec cette certitude ? » Même évidence pour Jacques Arènes : « Le conflit fait partie du fonctionnement psychique. Le désir est par essence conflictuel. Il est dangereux d’espérer échapper à la conflictualité interne. Le principe de plaisir ne cessant de s’opposer au principe de réalité, notre vie se passe à essayer de trouver des solutions, des compromis, des équilibres forcément instables. »
Débrancher ? Pour quoi faire ?
Sans compter que certains tempéraments sont moins disposés à la « zen attitude » que d’autres : les hyperactifs, mais aussi les créatifs, toujours sur le pont, les natures « physiques », qui ont besoin de se dépenser, et les personnes à haut potentiel ou surdouées, vouées à une hyperactivité cérébrale permanente. Et puis il y a les névrosés ordinaires qui jouissent du « multitâchisme », se délectent des angoisses mineures qui font barrage à d’autres plus conséquentes, et adorent ne pas avoir une minute pour eux. Tous ceux-là – et ils sont très nombreux – ont mille raisons de se hérisser ou de s’angoisser quand on leur demande de déconnecter. Ainsi Marie, 47 ans, relève ses mails professionnels quand elle est en vacances et répond à ceux qui lui semblent importants. « Beaucoup me font remarquer – pour mon bien, pensent-ils – que je devrais “débrancher”, ce qui m’agace prodigieusement. Certains diront que je ne veux ou ne peux pas lâcher prise, d’autres que je suis anxieuse. Moi, je vois une autre explication. Mon travail n’est pas une corvée, mais un vrai plaisir. Autrement dit, le calme est une notion toute relative : ce qui me calme, moi, c’est de continuer à faire tourner la machine, même si c’est au ralenti. »
Jacques Arènes comme Stéphanie Hahusseau distinguent l’intranquillité d’un tempérament et celle qui naît de l’angoisse ou de la culpabilité. Cette intranquillité, pour inconfortable qu’elle soit, est utile. « Elle est comme un radar interne qui nous dit que quelque chose ne va pas, qu’il faut comprendre ce qui se passe pour rétablir l’équilibre », détaille le psychanalyste. Parfois, il vaut même mieux ne pas tenter de calmer la tempête, profiter de son énergie. Il rappelle que « le stress, l’angoisse peuvent aussi être utiles dans la prise de décision ». Virginie, 46 ans, se souvient que c’est au milieu d’une tempête de stress professionnel qu’elle s’est résolue à quitter son entreprise : « À froid, je n’aurais peut-être pas eu ce courage, j’aurais rationalisé ou je serais tombée en dépression », conclut-elle cinq ans plus tard. Pourtant, son entourage lui conseillait alors de prendre du recul, d’apprendre à gérer son stress pour tenir le coup.