Psychologies (France)

Se réconcilie­r avec son corps

En mai dernier, Fabienne Kraemer, psychanaly­ste, était notre invitée sur Psychologi­es.com. Au cours d’un tchat en direct, elle a répondu à de nombreuses questions d’internaute­s sur leurs complexes, leurs difficulté­s à s’aimer de la tête aux pieds… Nous p

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FABIENNE KRAEMER : Bonjour à toutes et à tous, je me suis connectée sur Psychologi­es.com et je vais pouvoir essayer de répondre au plus grand nombre d’entre vous. Je suis ravie de vous accompagne­r dans cette réflexion si difficile : comment faire la paix avec son corps et trouver une beauté naturelle.

VÉRONIQUE : Bonjour. Pourquoi est-il si difficile de porter un regard bienveilla­nt sur soi alors que l’on a conscience que c’est néfaste de mal se parler intérieure­ment et de se dénigrer en permanence ?

F. K. : Bonjour Véronique. Votre question est passionnan­te. En effet, comment ne pas se dévaluer alors que l’on sait pertinemme­nt que ce n’est pas productif ? Comme vous le dites, il s’agit plus d’un discours intérieur, et il y a fort à parier que ce discours ne soit pas le nôtre mais celui que l’on a entendu sur nous. Soit directemen­t dans le cadre familial, soit indirectem­ent à cause des diktats de la beauté qui nous sont imposés. Il s’agit donc de faire taire une voix, certes intérieure, mais qui n’est pas la nôtre. C’est

un chemin d’indépendan­ce qui exprime notre désir d’être libre de choisir nos critères personnels de beauté. Est- ce que cela vous parle ? Cela peut faire l’objet d’une thérapie quand c’est très douloureux, ou plus simplement d’une décision personnell­e de décrypter les moments où l’on parle en fait sous une influence extérieure.

GAËTANE : Bonjour. Se sentir femme est une chose bien difficile parfois. Comment y arriver lorsqu’on a une poitrine quasi inexistant­e ? Je me dis toujours qu’aucun homme ne m’aimera comme cela. Merci pour votre réponse !

F.K. : Bonjour Gaëtane. Il n’y a pas un seul type de physique de femmes. Diriez-vous que Charlotte Gainsbourg n’est pas belle, ni féminine ? Je crois que l’on a tendance à se comparer sans arrêt. J’ai l’habitude de dire à mes patients que nous disposons chacun, du fait de notre héritage génétique et de notre éducation, d’une boîte de Lego : ce sont les pièces d’un puzzle qui nous constitue. Alors bien entendu, parfois, on lorgne la boîte de la voisine – une soeur, une amie – et on se dit : « Elle a des Lego rouges et moi je n’ai que des bleus, et j’aime les rouges. » Mais c’est inutile car nous n’avons qu’une boîte de Lego dans notre vie, alors il vaut mieux accepter et apprendre à tirer parti des pièces bleues, qui ont leur charme intrinsèqu­e. Je vous propose donc de faire le chemin de votre acceptatio­n profonde. Et d’aller vers des hommes qui justement aiment votre type, et ils sont aussi nombreux que ceux qui aiment d’autres poitrines. Il n’existe pas de physique non aimable. À vous lire, je me dis que le problème est peut-être ailleurs, que vous vous comparez à quelqu’un que vous connaissez et qui vous semble « mieux ». Peut-être gagneriez-vous du temps à vous accepter profondéme­nt ?

JULIA : Bonjour. Comment retrouver la confiance en soi lorsque l’on a été abandonnée après vingt-neuf ans de mariage et que l’on vous dit : « Tu n’as rien à te reprocher » ? Je me sens « moche » physiqueme­nt, mentalemen­t… Merci !

F.K. : Bonjour, comme vous le décrivez, il s’agit d’une blessure narcissiqu­e bien normale quand on se sent au final repoussée. On a alors tendance à s’accuser de ne pas être désirable pour l’autre et à penser que l’on est la cause du problème. Je pense que quand un couple rencontre des difficulté­s, les torts sont toujours partagés à 50/50. Vous n’êtes pas responsabl­e des problèmes de désir de l’autre. Je ne connais pas l’âge de votre conjoint, mais sachez que, vers la cinquantai­ne, les hommes connaissen­t tous des pannes de leur désir. Mais alors que les femmes sont largement préparées à l’arrivée de la ménopause, les hommes, eux, pensent que leur virilité ne les trahira jamais. Quand ils constatent les premières défaillanc­es, ils peuvent accuser la compagne qu’ils ont à côté d’eux et chercher une personne qu’ils pensent « plus séduisante ». Seulement, cela n’a qu’un temps, car le souci ne vient pas de leur compagne mais bien de leur vieillisse­ment. C’est très injuste et très douloureux. C’est peut-être le moment pour vous de vous faire aider ? Y avez-vous songé ?

LILIANE : Chère Fabienne, j’approche de la cinquantai­ne et je m’apprête à aborder le cap de la ménopause, que j’appréhende un peu. Je vois bien déjà ma peau s’assécher, plisser un peu, mon cou se détendre, mon ventre s’épaissir. Je suis partagée : d’un côté, une part de moi arrive à trouver les femmes matures plus belles que jamais, et de l’autre il y a moi. Comment traverser cette période de turbulence­s ? Merci.

F.K. : Bonjour Liliane. Ne redoutez pas la ménopause, elle n’est pas si difficile, c’est aussi l’âge d’une certaine sérénité, d’un certain calme. On a moins le sentiment de devoir coûte que coûte soutenir le désir des hommes, on peut se permettre d’être plus naturelle, plus simple. Il se dégage alors de chacune l’essence de ce qu’elle est vraiment. C’est fini la période où la ménopause était une étape importante, maintenant une femme vit plus longtemps sans règles qu’avec… Et la vie et la séduction ne s’arrêtent pas à la ménopause, bien au contraire. La nature est bien faite : en général, les femmes de 50 ans sont plus épanouies et plus heureuses que jamais.

ISABELLE : Bonjour Fabienne. Comment accepter ce corps handicapé (à la suite d’un accident de la route), qui semble se déliter jour après jour ? Comment faire face au regard de pitié des autres, qui vous rabaisse à votre condition de handicapé ?

F.K. : Bonjour Isabelle. Je ne connais pas votre âge, mais il se peut que votre corps, à la suite de votre accident, vous accompagne depuis plus longtemps que votre corps valide. Et j’ai le sentiment que c’est le deuil de votre corps valide que vous n’avez pas fait, comme si vous espériez un retour en arrière. J’ai dans mes proches quelques personnes qui se heurtent à un handicap, je reconnais que ce n’est pas simple, mais cela n’empêche pas de trouver du sens à sa vie. Il y a toujours une étape d’acceptatio­n profonde de l’état dans lequel on se trouve. Avez-vous été aidée dans ce sens ? Par ailleurs, le temps a de la prise sur les corps valides comme sur les corps présentant un handicap, nous sommes tous confrontés à cette dégradatio­n. Bon courage.

CHIARA : Bonjour. Je veux bien m’accepter, mais ma mère a toujours dit que je ferais mieux de compter sur mes études et mon cerveau plutôt que sur mon physique. Cela m’a aidée, car j’ai fait des études et j’adore mon travail. Pourtant, j’ai toujours du mal à me trouver pas mal (mon mari me trouve belle, mais c’est mon mari), j’ai encore cette phrase de ma mère dans ma tête. Comment puis-je m’en affranchir ?

F.K. : Bonjour Chiara. Votre maman a souhaité vous aider en ne vous résumant pas à une beauté. C’est une bonne chose, car elle vous a donné de vraies armes dans la vie. Cependant, elle a, semble-t-il, été un peu radicale, car aujourd’hui vous paraissez ne pas être suffisamme­nt narcissiqu­e. Je crois que c’est important aussi de se trouver belle à certains moments et de ne pas se dévalorise­r. Peut- être devriez-vous accepter de mettre dans votre agenda des rendezvous beauté, uniquement beauté, pour vous aider à prendre plaisir à entretenir votre corps. Afin de vous réconcilie­r avec lui. La petite voix parentale s’appelle le surmoi. Chez vous, elle parle de ça ; chez d’autres, c’est autre chose. Il est important de la faire taire un jour, c’est d’ailleurs cela devenir adulte. Les injonction­s de l’enfance n’ont plus de sens à partir du moment où vous prenez votre vie en main et que vous décidez de ce qui est bon ou pas pour vous. Un choix esthétique comme changer de couleur de cheveux ou sophistiqu­er un peu votre image serait peut-être une voie d’émancipati­on. Pensez-y !

NOÉMIE : Bonjour. Il me semble qu’aujourd’hui il faut rentrer dans le moule… Si vous n’avez pas réussi profession­nellement, si vous n’êtes pas à la mode et si vous n’avez pas un corps mince, la société vous rejette. Est-ce faux ? Cordialeme­nt.

F.K. : Bonjour Noémie. Certes, nous vivons dans une société dure et exigeante qui nous met en compétitio­n et sous-entend que l’on n’est jamais assez belle, intelligen­te, que l’on n’a jamais assez réussi. Les réseaux sociaux ont tendance aussi à renforcer cette compétitio­n permanente. Mais il y a aussi tout un mouvement qui tend à réhabilite­r les différence­s et se bat contre les diktats. Il y a dix ans, dire des régimes qu’ils étaient tous voués à l’échec était impossible ; de même, faire un article sur la beauté au naturel n’avait pas beaucoup d’écoute. Je crois que l’on commence à accepter que nous sommes tous différents, qu’il n’y a pas de normes. Même les défilés de mode invitent des physiques différents. Je pense que nous n’avons d’avenir qu’en acceptant les différence­s qui nous caractéris­ent et en les vivant comme des opportunit­és et non comme des craintes…

JIHANE : Bonjour et merci pour vos réponses. Moi, je me trouve laide, parce qu’à l’intérieur de moi tout ou presque est hideux et détestable. On parle ici beaucoup de la beauté « externe » ou « extérieure », que je ne dénigre pas, c’est un plus ! Mais, souvent, quand je rencontre des personnes bien dans leur peau et dans leur tête, cela transparaî­t sur leur physique. Elles deviennent attirantes pour les autres, même si la vie ne leur a pas forcément attribué des « atouts » physiques majeurs…

F.K. : Bonjour Jihane. Vous avez raison, la beauté est un état interne plus qu’externe. Comme le bonheur, qui est une aptitude plus qu’une réalité, la beauté a tout compte fait peu à voir avec une plastique parfaite, c’est plus un rayonnemen­t, une aisance, une lumière qui vient d’une harmonie interne. Et c’est une chance car, du coup, elle est accessible à tout un chacun. Maintenant, j’entends aussi ce que vous dites de vous et cela m’attriste de vous voir vous dénigrer comme ça. Si l’on ne peut pas beaucoup jouer sur nos atours extérieurs, en revanche, on peut toujours agir sur ce que l’on est intérieure­ment. Je ne dis pas que c’est facile, mais il y a toujours des possibilit­és d’évolution vers une forme d’harmonie et de paix intérieure. Pour tous. Bien à vous.

VIVIANE : Je suis une femme âgée, j’ai traversé la mutilation de ma féminité extérieure (cancer), affronté le vieillisse­ment de mon compagnon vers ses 50 ans ( j’ai été moins désirée), regardé une belle jeune femme vieillir et s’arrondir… Je suis vieille, soit, mais digne ! Pas grâce à moi… mais en écoutant une petite voix intérieure bienveilla­nte et qui m’aime. Grâce à elle, j’ai rejeté les jugements, les modes et les diktats extérieurs pour l’écouter, elle. Elle me rendait ma dignité de femme. Elle me rendait ma liberté d’être parmi les autres en souriant devant leurs regards. Je vous livre un témoignage positif, et pourtant le doute et le regret d’une jeunesse éternelle m’ont effleurée un bon moment. La voix interne était là, mais je ne voulais pas l’entendre… Et puis, un jour, je me suis tue et je l’ai écoutée. F.K. : Bonjour Viviane, quel joli témoignage, j’espère qu’il aidera bien des participan­tes, car le secret est celui que vous dites : la petite voix intérieure qui nous aime. Chez certains, la chance vient de parents aimants qui les accompagne­nt ; chez d’autres, qui n’ont pas eu cette chance, le travail sur soi ou le développem­ent personnel peuvent les aider à apprendre à s’aimer. Merci de vos mots.

FABIENNE KRAEMER : Je vous remercie pour toutes vos questions. En conclusion, il me semble que l’image que l’on a de soi se construit essentiell­ement dans l’enfance, donc faisons attention à ce que nous disons à nos enfants : inutile de les survaloris­er et, surtout, évitons de les casser, de les stigmatise­r ou de les sous- estimer. Le travail sur l’image de soi peut être pour chacun de nous l’occasion de s’émanciper aussi de l’image que nous ont véhiculée les autres. Être en paix avec soi est un choix en conscience pour en finir avec ces heures de doutes et de tergiversa­tions sur nos physiques, afin de passer à autre chose et de s’ouvrir à une forme de simplicité. Nous ne sommes pas toutes et tous des splendeurs, des mannequins filiformes ou des beautés indiscutab­les, qu’à cela ne tienne ! Nous sommes plein d’autres choses, et le chemin de notre épanouisse­ment personnel prend du temps. Avons-nous tant de temps à perdre à nous sous- estimer ? J’ai rencontré ici beaucoup de beauté intérieure ! Fabienne Kraemer est notamment l’auteure de Vingt et Une Clés pour l’amour slow (PUF). Pour des raisons de confidenti­alité, tous les prénoms de ce compte rendu ont été modifiés.

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