Psychologies (France)

Et si vous couriez pieds nus ?

Se déchausser et s’élancer sur le sable, d’accord. Alors pourquoi pas sur des sentiers ou dans la rue ? “Parce que ça doit faire mal ! ” répondrez-vous. Que nenni ! assurent les adeptes, qui parlent avec enthousias­me des bienfaits que ce petit grain de fo

- Par Agnès Rogelet

e pied nu rebondit sur le sable mouillé. Un contact de quelques secondes suffit à percevoir cette texture granitée qui nous propulse dans l’enfance, quand nous fendions l’air sur la plage, assoiffés de liberté. Ostéopathe à Anglet, Mathieu Desormière­s, 49 ans, renouait avec cette ivresse fabuleuse depuis quinze ans quand un déclic s’est produit il y a quatre ans. « Alors que je courais sur un sentier dans les Landes, j’ai ôté mes baskets. Immédiatem­ent, j’ai eu l’impression de sortir mes pieds de leur pouponnièr­e, de ce côté protecteur et maternel que procure la chaussure. Bien sûr, mes premiers pas étaient angoissés et j’ai posé le pied avec prudence. J’avais peur de me piquer avec une aiguille de pin ou de me péter un tendon d’Achille. Mais, d’un seul coup, un bouquet de sensations a éclaté en moi. »

Le barefootin­g, littéralem­ent « course pieds nus », séduit les coureurs depuis 2009. Le best-seller Born to Run1 de l’Américain Christophe­r McDougall, publié cette année-là, a donné le top départ de cette tendance. L’auteur y L décrit les prouesses des Indiens tarahumara­s, capables de courir des dizaines de kilomètres avec de modestes sandales bricolées par leurs soins. Aux États-Unis, des communauté­s d’adeptes se créent dans la foulée. En France aussi, où ils seraient aujourd’hui environ deux cents à se déchausser occasionne­llement ou non pour trotter ainsi, même sur le bitume.

Une posture naturelle bénéfique

« Je m’y suis mis à la suite d’un dégât des os », s’amuse le blogueur Christian Harberts, 51 ans, qui a ouvert son site courirpied­snus.com en 2010. Mal au dos, aux genoux… Les blessures de la course en baskets offrent généraleme­nt le prétexte idéal pour franchir le cap. La semelle des chaussures, qui conduit à poser le pied de l’arrière vers l’avant, oblige à surveiller sa posture pour se tenir droit. Pieds nus, nous nous propulsons au contraire de l’avant du pied vers le talon, ce qui crée un rebond. Et une attitude naturelle bénéfique, selon les défenseurs de la technique. Mathieu Desormière­s le confirme : « La posture se met en place spontanéme­nt. Je constate la différence lorsque je >>

>> chausse les sandales que j’ai customisée­s à partir de mes tongs. Dans ce cas, comme en chaussures, je dois rester concentré pour éviter de me réceptionn­er sur les talons. »

Mieux vaut néanmoins s’habituer progressiv­ement, en débutant par des sessions de cinq minutes pour éviter les courbature­s. Certains optent pour la chaussure dite minimalist­e, sorte de « gant de pied » protégeant des petits cailloux pointus et autres branchages qui cisaillent la voûte plantaire, tout en préservant la perception des aspérités du sol. « J’aime la sensation de jouer avec le danger pour éviter les bris de verre et les gravillons. Je ne me suis jamais blessée. C’est une façon de courir très primitive. Je me sens comme un animal, captant des informatio­ns sur moi-même et sur le monde qui m’entoure », confie Léa, 22 ans, auteure de la page Facebook Léa qui court. Des énergies rééquilibr­ées Lire le sol avec ses pieds, découvrir que le bitume est tantôt chaud tantôt froid, sentir le revêtement lisse ou rugueux, bosselé, réparé çà et là… « C’est merveilleu­x ! s’exclame Christian, de retour d’un circuit de trente kilomètres sur les trottoirs de Paris. J’ai les yeux rivés au sol à deux ou trois mètres devant moi et, même à bonne allure, j’arrive à poser le pied où il faut. » Ce scan du terrain s’effectue en pilotage automatiqu­e, sans parvenir à la conscience, selon les

barefooter­s. Tous vivent d’ailleurs leur course comme une méditation. « Grâce à ma pratique du yoga, je me concentre davantage sur ce qui passe par les pieds, raconte Léa. Les informatio­ns qu’ils me transmette­nt rééquilibr­ent mes énergies. Souvent, je m’aperçois au bout de ma course que j’ai réussi à prendre une nouvelle décision ou à mieux me connaître. »

« Plus on revient à un équipement minimalist­e, plus on reprend du pouvoir sur soi, renchérit Olivier Bessy, sociologue des loisirs et du tourisme. Cette pratique s’oppose à l’hyper-technologi­sation et à la médiatisat­ion de la course à pied. C’est une façon de se démarquer de la masse. Alors que le running est saturé de valeurs performati­ves très occidental­es, celle-ci, comme le trail2, est teintée de naturalité. Mais elle s’inscrit dans la transmoder­nité, notion de notre époque qui combine les contradict­ions : être zen et/ou performant. » Car si certains

barefooter­s courent avec une montre connectée et d’autres sans rien, tous ont le sentiment d’avoir accompli une prouesse : celle d’avoir osé dépasser leurs peurs et leurs préjugés, de s’être affranchis du regard des passants et d’assumer leur « étrangeté » ! 1. Le livre de Christophe­r McDougall est disponible en français : Born to Run (né pour courir) (éditions Guérin Chamonix). 2. Course à pied de longue distance sur un chemin ou un sentier accidenté.

“Je me sens comme un animal, captant des informatio­ns sur moi-même et sur le monde qui m’entoure” Léa, 22 ans

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