Psychologies (France)

Mon psy part en vacances

Vous êtes pris d’angoisse à la seule lecture de ce titre ? Pas de panique. Suivez nos conseils et cette période délicate se passera en douceur. Si, si, c’est promis.

- Par Laurence Lemoine

S i la plupart d’entre nous attendent les vacances avec impatience, Elsa, elle, aimerait arrêter le temps. À 29 ans, après trois années d’analyse, elle redoute toujours autant les congés de son psy. « Il m’abandonne, ni plus ni moins ! Je vis tous ses départs comme une déchirure. Chaque fois, j’ai peur de ne pas pouvoir survivre sans lui, peur de le perdre. » Elsa n’est pas un cas isolé. Nombreux sont les analysants qui, comme elle, sont pris d’angoisse à l’idée de ne pas voir leur thérapeute pendant un mois, eux qui ont l’habitude de le retrouver une ou deux fois par semaine.

Se retrouver brusquemen­t livré à soimême, à ses inquiétude­s, à ses démons sans possibilit­é d’aller vider son sac peut-il être dangereux ? « Tout dépend du moment de la cure où se produit cette interrupti­on, indique Brigitte Martel- Cayeux, gestalt- thérapeute. Quand elle intervient dans une phase où le patient a grand besoin de soutien, la coupure de l’été peut être délicate. » Car la thérapie provoque une ouverture de l’inconscien­t. « Remuer le passé, c’est être submergé par des émotions déstabilis­antes, témoigne Olivier, 34 ans. On peut les revisiter quand il y a quelqu’un pour les accueillir, le chagrin notamment. Mais quand ce quelqu’un part… Lors des premières vacances de mon psy, je me suis retrouvé comme un petit garçon pleurant sur un quai de gare, sans personne pour le consoler. »

Préparez son absence avec lui

Si la réaction est liée à l’histoire de chacun, « l’éloignemen­t d’avec le psy est d’autant plus douloureux à vivre qu’il réactive les expérience­s de séparation antérieure­s. Et parfois elles ont été traumatisa­ntes car mal assimilées », précise Jean-Marie Jadin1. Pour éviter que sa disparitio­n momentanée n’entre en résonance avec ces traumatism­es, le psychanaly­ste affiche les dates de ses absences. « Certains psys n’annoncent leur départ qu’à la dernière séance. C’est cruel », réprouve-t- il. Comme lui, Brigitte Martel-Cayeux prépare les vacances avec ses clients : « En fonction de la manière dont ils anticipent la séparation, nous essayons de trouver des aménagemen­ts. » Il lui est arrivé, devant une angoisse d’abandon trop intense, de prêter un objet de son cabinet en guise d’objet transition­nel, pour symboliser la pérennité du lien thérapeuti­que. Elle suggère aussi de poser des balises dans l’été : des rendez-vous que le patient prend avec lui-même pour exprimer, par l’écriture ou le dessin, ce qu’il adresse habituelle­ment au thérapeute.

En analyse depuis quatre ans, Cécile, 37 ans, n’a jamais eu recours à ces bouées de secours. En revanche, elle a appris à se préserver pour s’éviter un désarroi quand son psy plie bagage. « Quelques

séances avant, j’arrête de parler de choses lourdes pour ne pas rester sur un chantier béant, dit-elle. Je fais en sorte que tout soit bien cautérisé pour passer l’été apaisée. » Jean-Marie Jadin invite parfois ses patients à adopter cette stratégie. « Mais, constate-t-il, certains en profitent au contraire pour aborder des sujets sensibles, comme ils le font parfois en fin de séance, sur le pas de la porte. » À déconseill­er ? « Pas vraiment. Ce qui est anxiogène pour l’un peut être fructueux pour l’autre, car le travail continue en l’absence du thérapeute. »

Soyez fier de l’autonomie que vous avez acquise

L’été, lorsqu’elle quitte le cabinet de son psy après sa dernière séance, Sophie, 27 ans, dix-huit mois d’analyse, se sent « un peu bizarre ». Comme si le monde allait s’écrouler autour d’elle, comme si elle devait se jeter dans le vide. « La première année, j’ai fait un tas de bêtises pour me prouver que je ne pouvais pas me passer d’elle, confie-t-elle. Maintenant, je panique un peu les premiers jours, mais je m’aperçois que je tiens debout. » Pour la plupart des patients, « les choses se passent souvent mieux qu’ils ne l’avaient craint, confirme Brigitte MartelCaye­ux. Les vacances sont l’occasion de constater l’autonomie acquise grâce à la thérapie ». Chaque fois qu’elle retrouve sa belle-famille au bord de la mer, Cécile prend la mesure des progrès accomplis : « Je m’aperçois que j’arrive mieux à faire valoir mes limites, que je réagis moins à chaud. Vraiment. Je commence même à >>

>> mettre de côté ce qui me chiffonne pour en parler à ma psy à la rentrée. » Une fois, pourtant, elle l’a appelée sur son lieu de vacances. « J’avais eu un accrochage avec ma belle-mère. J’étais dans un tel état de confusion que j’ai préféré la déranger plutôt que d’envenimer la situation. En un coup de fil, elle m’a permis de me reposition­ner. »

Prévoyez un filet de sécurité

En étant obligés d’affronter seuls leurs difficulté­s, les patients ont la possibilit­é de grandir. La plupart des thérapeute­s ne sont donc pas favorables au fait de donner leur numéro de téléphone. « La séparation est toujours structuran­te, assure Jean-Marie Jadin. Elle est aussi nécessaire au travail thérapeuti­que qu’un point entre deux phrases. » Néanmoins, il n’est pas question pour lui de laisser un patient en difficulté sans filet de sécurité. « Je peux donner mon numéro lorsque la relation thérapeuti­que a été difficile à établir, explique Brigitte Martel-Cayeux. Aux patients en grande détresse, par exemple. Je sais qu’ils n’en abusent jamais, comme s’ils comprenaie­nt le bénéfice à essayer de voler de leurs propres ailes. Mais, dans la plupart des cas, je préfère fournir les coordonnée­s d’un autre thérapeute, pour introduire un tiers dans une relation qui ne doit pas entretenir la dépendance mais mener à une responsabi­lisation. »

Après l’avoir longtemps redouté, Olivier ressent le départ de son psy comme un soulagemen­t. « J’arrête de me regarder vivre comme si je devais toujours rendre des comptes ! » assure-t-il. « Bien souvent, les analysants nous placent dans une position de parent autoritair­e qui chercherai­t à les mettre en faute, corrobore Jean-Marie Jadin. Quand le chat s’absente enfin, les souris dansent ! »

Mesurez le chemin qu’il vous reste à faire

C’est à ce stade du transfert, celui où le thérapeute est idéalisé, investi d’un pouvoir extraordin­aire, que Jeanne, 45 ans, a croisé sa psychanaly­ste sur une plage. « C’était affreux ! Je me suis sentie comme une gamine prise sur le fait alors qu’elle sèche ses cours. Et j’ai détesté la voir en maillot de bain avec un bob sur la tête. Elle est tombée de son piédestal. » Une expérience qui permet d’engranger un matériau à travailler à la rentrée. « Privé de ces rendez-vous, on se rend compte de ses progrès en même temps qu’on prend la mesure du chemin qui reste à faire », constate Cécile.

Et après ? Le travail repart sur de nouvelles bases. « Lorsque je retrouve mes patients en septembre, je sens qu’ils ont changé », remarque Brigitte MartelCaye­ux. Les uns ont gagné en assurance, les autres ont régressé. « C’est comme s’il fallait de nouveau m’apprivoise­r, décrit Elsa. Quand mon père rentrait de voyage d’affaires, je lui faisais payer ses absences de la même manière. » Chaque été, la jeune femme interroge sérieuseme­nt sa motivation à poursuivre son analyse. Mais, chaque fois, elle la reprend avec un peu plus de lucidité. « Il faut que mon psy s’absente pour que je comprenne à quel point je revis avec lui ma relation à mon père. » Bien souvent, c’est grâce au recul de l’été que les patients prennent de grandes décisions. Celle de changer un aspect de leur vie, ou d’arrêter leur thérapie. 1. Jean-Marie Jadin est l’auteur de Côté divan, côté fauteuil (Albin Michel).

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