Enfants : laissez-les vivre leur vie !
Les congés d’été sont un moment rêvé pour permettre à nos petits aventuriers de goûter à l’autonomie. Rêvé… mais angoissant pour un parent ! À moins de transformer ces peurs en outils d’épanouissement. Nos conseils en fonction de leur âge.
À12 ans, les recommandations sans fin de ma mère avant de partir en colo m’exaspéraient ! Pourtant, cette année, je me suis surprise à en faire autant avec ma fille Clara. J’étais comme une imbécile à l’embrasser, en essayant de faire bonne figure, mais avec tous les scénarios catastrophes dans la tête, depuis l’accident jusqu’à l’enlèvement. » Béatrice, 40 ans, s’amuse d’elle-même, mais avoue qu’il lui a fallu un gros effort pour surmonter ses craintes durant le séjour de sa fille, et qu’elle n’a pu s’empêcher de consulter sa messagerie plusieurs fois par jour.
Cette peur de mère, une peur réflexe, est tout à fait « normale ». Au même titre que l’amour, elle est indissociable de la fonction parentale. Elle en est même une des conditions. La peur raisonnable permet en effet de protéger l’enfant, de l’avertir du danger, de lui transmettre la notion de risque : il apprend à ne pas se pencher à la fenêtre ou à ne pas mettre les doigts dans les prises de courant. « Parce qu’il est confronté à l’anxiété de ses parents ou des adultes, il développe des stratégies de survie », explique Daniel Bailly, psychiatre et auteur de
La Peur de la séparation (Odile Jacob). Et son âge ne change rien à l’affaire. La question reste celle du lien parentenfant : petit ou ado, seul l’objet de la peur change, pas sa nature.
Le temps des expériences
Durant les congés d’été, les conditions de la vie quotidienne se modifient. Plus de temps, plus d’activités, des horizons nouveaux… L’espace des possibles
s’ouvre. Le petit dernier veut faire du surf, la grande veut partir camper avec ses copains… Face à ces demandes, les inquiétudes parentales s’amplifient. D’autant plus que, paradoxalement, cette période représente, pour ces pères et mères à l’emploi du temps surchargé, un moment espéré, parfois idéalisé : on va se rattraper, on va compenser, par l’intensité des vacances, la culpabilité de ne pas se sentir suffisamment « bons parents » le reste de l’année. Un espoir doublé d’une forte demande affective de la part des adultes, en attente de retour d’amour, de fusion. Les besoins des uns et des autres ne coïncidant pas toujours, les vacances peuvent alors devenir une machine à frustrations, et à conflits.
Apprendre à se “déparentaliser”
Pourtant, il est possible de transformer ces peurs en dynamique éducative, pour les enfants comme pour les parents ! « La vie, c’est l’expression du désir qui, forcément, échappe au contrôle des parents », remarque le psychanalyste Jean-Pierre Winter1, précisant que ces derniers doivent, d’une part, apprendre à sortir de « l’enfant fantasmé » pour identifier l’enfant réel et, d’autre part, apprendre à estimer le danger à sa juste valeur. « Les dangers réels ne sont pas si nombreux », observe-t-il. Encore fautil les évaluer à l’aune de l’âge de l’enfant. « Les parents ont une représentation anachronique des capacités de leurs petits, parfois pas si petits, à faire face au danger. Et ceux- ci, de leur côté, en ont conscience. Il s’agit d’un élément essentiel des conflits familiaux. À l’enfant de signifier qu’il a grandi », conclut le psychanalyste. Et aux parents d’apprendre à se « déparentaliser ». C’està-dire à lâcher. « En développant notre confiance en nos enfants, nous les aidons à renforcer leur capacité de réaction », insiste Daniel Bailly. C’est ainsi, en ne les surprotégeant pas, que nous les protégeons.
Grandir, un va-et-vient permanent
Évidemment, la juste attitude demande un travail d’observation et d’accueil pour permettre au jeune explorateur de se rassurer. En effet, le processus d’autonomisation des enfants passe par un constant va-et-vient. Depuis les travaux du psychiatre John Bowlby et de la psychologue Mary Ainsworth, dès 1946, il est acquis que les jeunes enfants explorent le monde à partir de la « base de sécurité » représentée par l’adulte. Ils s’échappent, reviennent se réfugier, repartent, agrandissant peu à peu le terrain conquis. À 10 ans, ils se lancent dans les vagues, puis reviennent sur la plage raconter leurs exploits et replongent. À 16 ans, ils vont en boîte et se « lâchent » le lendemain en jetant quelques anecdotes, quêtant l’air de rien approbation ou interdiction. Les vacances sont ainsi le moment idéal pour leur permettre d’éprouver leurs forces nouvelles, tout en veillant à l’adéquation entre leurs capacités et la difficulté à affronter les risques : à 11 ans, l’enfant peut passer une nuit sous la tente avec les copains, mais dans le jardin ; à 17 ans, partir quelques jours avec les potes, à condition que les parents les connaissent et que l’itinéraire soit respecté… 1. Jean-Pierre Winter, auteur notamment des Images, les mots, le corps, entretiens avec Françoise Dolto (Gallimard).