Psychologies (France)

5 idées reçues sur la dépression

Trois millions de Français1 sont touchés ! La particular­ité de cette maladie ? Elle ne se voit pas. Les conséquenc­es ? Beaucoup de préjugés courent sur elle. Marie-Claude Gavard, psychiatre, psychothér­apeute et psychanaly­ste, nous aide à y voir plus clair

- Propos recueillis par Charlotte Herzog

Idée reçue n° 1 UN DÉPRESSIF N’A PAS DE VOLONTÉ

Marie-Claude Gavard : « Cette maladie n’a rien à voir avec la volonté. Dire à un dépressif “Secoue-toi !”, c’est comme entreprend­re la réparation d’une télévision à grands coups de pied dedans. On abîme le téléviseur, c’est tout. La personne déprimée le reste et, en plus, culpabilis­e de l’être. C’est la double peine. En pleine dépression, elle n’arrive plus à rien : ce n’est pas qu’elle n’a pas envie de se lever ou d’agir. Elle ne peut tout simplement pas le faire. Sous-entendre qu’elle se laisse aller ou s’écoute un peu trop est une erreur. Elle est malade. Quand quelqu’un a une grippe ou un diabète, est- ce parce qu’il s’écoute trop ? Sans pression extérieure et en faisant le moins d’efforts possible, le dépressif guérira plus vite. À celui qui a la jambe plâtrée, on ne dit pas “Dépêche-toi de cicatriser !”. Au diabétique, on ne dit pas “Arrête d’être diabétique”. Pour la dépression, c’est pareil. »

Idée reçue n° 2 UN DÉPRESSIF VA MAL ALORS QU’IL N’A MAL NULLE PART

Marie- Claude Gavard : « La dépression est un bug de la chimie cérébrale. C’est un dysfonctio­nnement des neuromédia­teurs – par exemple, la dopamine ou la sérotonine –, ces substances chimiques qui agissent sur notre tonus, notre humeur ou notre appétit de vivre. C’est une maladie physique déclenchée le plus souvent par un trouble psychologi­que. Nos façons d’agir, de penser, d’aimer sont impactées par nos neuromédia­teurs, qui participen­t au bon fonctionne­ment des neurones. Si elle les ressentait, la personne déprimée pourrait dire : “J’ai mal à mes neuromédia­teurs, pouvezvous me prescrire un traitement ? ” Car, physiologi­quement, c’est le cas. Si cette maladie provoquait un peu de fièvre et quelques boutons, les gens se soigneraie­nt tout de suite, et elle serait traitée plus objectivem­ent. Les dépressifs non diagnostiq­ués, qui pensent – souvent à tort – que “c’est comme ça, peut- être qu’un jour ça passera”, éviteraien­t de souffrir. Mais les symptômes comme les troubles du sommeil ou la difficulté d’agir sont souvent balayés d’un “C’est juste parce que rien ne va avec mon conjoint” ou “Mon patron veut ma peau”. Cette absence de signes physiques n’aide pas à faire la différence entre un coup de blues, passager, et un début de dépression, à soigner. »

Idée reçue n° 3 LA DÉPRESSION EST UN PROBLÈME DE RICHES

Marie-Claude Gavard : « N’importe qui peut faire une dépression, quelle que soit sa catégorie socioprofe­ssionnelle. Dire à une personne souff rant de cette maladie “Tu n’es qu’un enfant gâté qui a le temps d’aller mal” reviendrai­t à dire à quelqu’un qui a une jambe cassée “Tu n’es qu’un enfant gâté qui a le temps de se faire une fracture”. Après, il est vrai que les habitants de pays en guerre sont tellement dans une optique de survie qu’ils sont moins concernés. Ils sont dans l’action jusqu’à l’épuisement. Mais une fois le conflit et la peur passés, les nerfs lâchent, et il peut y avoir une dépression. Il arrive aussi que des quotidiens presque ordinaires demandent beaucoup de “munitions”. Un déprimé non diagnostiq­ué pourra avoir des symptômes de dépression mais n’en tenir compte que plus tardivemen­t. »

Idée reçue n° 4 UN DÉPRESSIF NE CHERCHE PAS DE SOLUTIONS À SES PROBLÈMES

Marie-Claude Gavard : « Tout le monde a des problèmes. Cette idée laisserait supposer que le dépressif n’est pas capable d’essayer de résoudre les siens, ce qui n’est pas le cas. Il peut, ponctuelle­ment, du fait de la maladie, être incapable de bâtir une stratégie pour s’en sortir. De plus, que veut dire “trouver une solution à son problème” pour des parents en deuil suite à la perte de leur enfant ? Dans ce cas, la dépression peut être longue, le cerveau met du temps à fonctionne­r à nouveau correcteme­nt, et le traitement doit être prolongé. Les dépressifs se demandent souvent comment ils vont s’en sortir, car leur état leur est pénible. Ils ruminent fréquemmen­t le lot de pensées noires obsédantes qui vont avec. Évidemment qu’ils ont du mal à y arriver, leur chimie cérébrale ne fonctionne pas bien. Agir leur est difficile. La solution est un traitement médical adapté pouvant associer des médicament­s, une psychothér­apie, l’hypnose, la relaxation, la méditation, le repos… et la compréhens­ion de l’entourage. »

Idée reçue n° 5 UN DÉPRESSIF A FORCÉMENT SUBI UN CHOC

Marie-Claude Gavard : « Non, sinon le nombre de personnes concernées serait moindre. La dépression est multifacto­rielle, et les problèmes psychologi­ques, appelés “facteurs déclenchan­ts” du dérèglemen­t physique, sont divers. Ils peuvent prendre leur source ailleurs que dans une situation dramatique. Cette maladie est la résultante d’accidents, de vécus de l’enfance qui n’ont pas été dépassés, d’un manque de confiance en soi, d’une vulnérabil­ité génétique… Par exemple, dans la dépression saisonnièr­e – en dehors de la maladie bipolaire –, la diminution du nombre d’heures de luminosité solaire entraîne une perturbati­on de la chimie cérébrale. Il arrive aussi que la dépression soit dissociée d’un problème psychologi­que : des maladies comme la sclérose en plaques ou certains traitement­s hormonaux peuvent la déclencher. » 1. Source : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé ( Inpes), 2007.

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