Psychologies (France)

La souffrance n’est pas une fatalité

Un fil rouge relie les témoignage­s de nos lectrices : l’image inconscien­te du corps. Psychanaly­se et neuroscien­ces contribuen­t à réparer les blessures qu’elle peut engendrer.

- Par Hélène Fresnel

C’est Paul Schilder, philosophe, neurologue, psychiatre et psy

chanalyste autrichien, qui a découvert et mis en lumière, en 1935, le concept d’image du corps humain : « L’image de notre propre corps que nous formons dans notre esprit, autrement dit la façon dont notre propre corps nous apparaît à nous- mêmes. Des sensations nous sont données en provenance de toutes les parties du corps. Par-delà ces sensations, nous éprouvons de façon directe qu’il y a une unité du corps1 », définit-il.

Quelques années plus tard, la psychanaly­ste Françoise

Dolto approfondi­ra ce concept dans son célèbre texte : L’Image

inconscien­te du corps ( Points). Elle y raconte des séances de psychothér­apie avec des enfants perturbés dans leur rapport au corps : l’un est agité de tics, l’autre ne parle pas et affiche en permanence un sourire figé… Ces troubles se sont tous résolus, explique-t-elle, à l’aide de dessins, de modelages, ce qui a permis de faire surgir des conflits refoulés par les enfants – un deuil et des disputes autour d’un héritage, une jalousie fraternell­e… – puis de les dénouer grâce à la parole des petits patients eux-mêmes.

Que démontre Françoise Dolto

dans cet ouvrage passionnan­t ? Que notre image du corps se structure en fonction des rapports que nous entretenon­s avec les autres, par la commu nication et le langage. Que notre corps exprime physiqueme­nt les troubles de notre image. Que cette image s’efforce de répondre à plusieurs objectifs : protéger notre narcissism­e et notre intégrité physique de tout ce que nous pensons pouvoir leur nuire, mais aussi satisfaire des pulsions et des désirs. Les complexes (« je suis trop gros, trop grosse », « mon nez est hideux », « mes fesses tombent »…) sont la trace de blessures, de castration­s infligées au fil de notre vie, issues de nos échanges avec autrui, de notre histoire personnell­e, de notre confrontat­ion au monde, de situations que nous avons perçues, de paroles, de mots que nous avons interprété­s, traduits, intérioris­és, chacun à notre manière et parfois très douloureus­ement. Mais rien n’est définitive­ment figé. L’image du corps est dynamique et, quand elle a été perturbée, abîmée, elle peut tout à fait être réparée, assure Françoise Dolto, grâce à « toute expression langagière, dessin, modelage, invention musicale, plastique, comme aussi mimique et gestes ».

Les neuroscien­ces partagent cette analyse, à leur manière. Elles se sont elles aussi intéressée­s à ces troubles, à

l’anorexie, à la boulimie, aux complexes et visions erronées de la forme du corps. Elles ont remarqué que celles et ceux qui en sont atteints souffrent aussi d’un manque de sensations internes : ils perçoivent moins que les autres le chaud et le froid, la satiété, la faim, la douleur. Ces troubles internes sont appelés troubles de l’intérocept­ion2 et il est possible de les réduire, de développer sa conscience intérocept­ive, d’améliorer ses perception­s internes et, donc, les troubles liés à l’image du corps en pratiquant régulièrem­ent des exercices de méditation de pleine conscience, du tai-chi et du yoga3.

1. Dans L’Image du corps (Gallimard). 2. Proceeding­s of the Royal Society B, 2011. 3. Frontiers in Psychology, 2015.

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