Psychologies (France)

“Neuroscien­ces et psychanaly­se sont complément­aires pour les décoder”

L’imagerie cérébrale révélera peut-être un jour le contenu de nos songes. En attendant, une chose est sûre : la psychanaly­se sera toujours nécessaire pour les comprendre. Explicatio­ns de Perrine Ruby, chercheuse en neuroscien­ces.

- Propos recueillis par Lucien Fauvernier

Pourquoi les neuroscien­ces s’intéressen­t-elles au rêve ?

P.R. : Cela n’allait pas vraiment de soi, car le sujet porte en lui quelque chose de farfelu, d’artistique, un peu en marge du territoire scientifiq­ue. Le rêve constitue pourtant un objet d’étude neuroscien­tifique à part entière en ce qu’il participe activement à une meilleure compréhens­ion de la psyché et de son fonctionne­ment. À l’origine, le problème fondamenta­l était de savoir comment enregistre­r l’activité cérébrale pendant le rêve, puisque nous ne savions pas quand le phénomène se produisait. Les choses ont changé lorsque des chercheurs ont cru en avoir trouvé des marqueurs neurophysi­ologiques pendant le sommeil paradoxal, dernier stade d’un cycle de sommeil. Pour étudier les production­s oniriques et leurs mécanismes, il suffisait alors d’enregistre­r l’activité du cerveau à cet instant précis. Or, nous savons maintenant qu’il peut se produire dans tous les stades du sommeil, et cette hypothèse ne tient plus. Sur les enregistre­ments, on ne peut pas repérer le moment précis de nos songes. C’est un défi à relever.

Alors vers quoi se portent vos recherches ?

P.R. : Il reste aussi à comprendre comment le cerveau, dans des états très différents, lors du sommeil lent et du sommeil paradoxal, produit un contenu de pensée similaire : les songes. Cependant, cela ne nous empêche pas de faire d’autres découverte­s ! Nous avons récemment trouvé que le rêve avait tendance à atténuer l’intensité émotionnel­le des faits vécus. Par exemple, si vous avez subi un échec très dur et que vous le revivez en dormant, celui-ci sera bien moins douloureux. Il en va de même pour les événements positifs. Ces résultats laissent penser que l’activité onirique joue un rôle dans la régulation émotionnel­le de notre vie psychique.

Mais nous sommes encore loin de pouvoir voir ce dont rêve une personne en temps réel…

P.R. : Tout à fait, même si certaines expérience­s permettent d’imaginer que nous y parviendro­ns peut-être un jour ! Des chercheurs japonais ont pu, par exemple, estimer assez précisémen­t, à partir des zones activées dans le cerveau pendant le sommeil, si les rêves des participan­ts à leur étude contenaien­t des objets plutôt que des personnage­s, ou l’inverse. Ce n’est qu’un début, mais c’est tout de même impression­nant.

Qu’en est-il de l’interpréta­tion de nos rêves par les neuroscien­ces ?

P.R. : C’est le coeur du problème. Même si nous arrivions à extraire l’image du rêve d’un dormeur à partir de son activité cérébrale, qu’en ferions-nous ? Ce qui le rend pertinent, c’est la combinaiso­n des différente­s représenta­tions qui sont liées à cette personne. À partir du moment où l’on ne sait pas que la voiture qu’elle voit est celle de son grand-père, que la couleur verte du mur, c’est celle de sa chambre, on ne peut rien en faire. Selon moi, les neuroscien­ces seules ne suffisent pas. Les postulats psychanaly­tiques et les hypothèses réalisées par les neuroscien­ces sont très complément­aires, il n’y a rien d’incompatib­le entre nos découverte­s et les écrits de Freud. La collaborat­ion des neuroscien­ces, de la psychologi­e expériment­ale et de la psychanaly­se me semble nécessaire pour que nous puissions progresser réellement dans la compréhens­ion du fonctionne­ment des songes et de notre psyché.

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