Psychologies (France)

Je ne suis pas qu’un donneur de sperme

Benoît, 43 ans, est un futur papa heureux : après quatre ans de tentatives de procréatio­n médicaleme­nt assistée, Virginie, sa femme, est enfin enceinte. Il ose dire ce que beaucoup d’hommes préfèrent taire, et parfois même ne s’autorisent pas à penser : l

- Propos recueillis par Valérie Péronnet Photo Amélie Chassary

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« COMMENT VA TA FEMME ? » JE PENSE QUE C’EST LA QUESTION QUI M’A LE PLUS BLESSÉ

venant de mes proches, ces dernières années : pourquoi pas « comment allez-vous » ? Virginie et moi, nous nous sommes rencontrés tardivemen­t – elle avait 38 ans et moi 39 – mais ça a été très vite une évidence pour tous les deux : nous nous aimons et nous voulons fonder une famille. Le plus vite possible, vu nos âges. Comme ça n’a pas marché naturellem­ent, nous nous sommes rapidement tournés vers la procréatio­n médicaleme­nt assistée ( PMA), sans en faire mystère. Nos amis et nos familles étaient au courant : nous voulions que le sujet reste léger et fluide, et qu’ils puissent se réjouir, ou se désoler, avec nous. Et souvent, « comment va ta femme ? » était leur manière, maladroite, de venir aux nouvelles.

Ma femme, moi, et nous allions plus ou moins bien, en fonction de l’étape où nous nous trouvions et des informatio­ns, bonnes ou mauvaises que nous avions à (di)gérer. En quatre ans, nous avons vécu quatre tentatives de fécondatio­n in vitro (FIV), deux fausses couches et une interrupti­on médicale de grossesse. Virginie a découvert les affres du traitement hormonal, des piqûres quotidienn­es, des effets secondaire­s, de l’anesthésie générale pour prélèvemen­t d’ovocytes, des grossesses inabouties… Je l’ai assistée du mieux que j’ai pu en me demandant souvent quelle était la

place la plus juste pour moi. J’ai appris, tout seul, à lui faire ses piqûres ; elle avait l’impression d’être une junkie qui attend sa dose, et moi de n’être qu’un accompagna­teur, un peu perdu face à cette mise en jeu de son corps, dans quelque chose que je ne pouvais pas vivre à sa place. Notre vie a été envahie par le protocole : injections tous les soirs, à heure fixe, quel que soit l’endroit où nous nous trouvions ; prises de sang répétées pour connaître le bon moment auquel procéder à la ponction d’ovocytes et au don de sperme ; rendezvous à la clinique pour un transfert en cas de développem­ent d’embryon… Nos corps et nos esprits ont été constammen­t sollicités. De mon côté, j’ai découvert le prélèvemen­t de sperme sordide en milieu ( in)hospitalie­r, isolé dans une cabine où vidéo et revues pornos voient passer de nombreux hommes. Mais pourquoi n’est-il pas possible d’être tout simplement accompagné de sa femme pour faire ce prélèvemen­t ? Ça serait tellement moins sinistre d’être ensemble…

« Ensemble », c’est vraiment le maître mot que nous avons essayé de ne jamais perdre de vue, même si le système dans lequel nous nous sommes engagés est presque

entièremen­t organisé autour de la femme, nous limitant nous, les hommes, au rôle de donneur de sperme. C’est si réducteur… Ce parcours de fertilité demande en réalité, à l’un et à l’autre, beaucoup de disponibil­ité physiologi­que, corporelle, psychologi­que et logistique. Une des grandes questions à résoudre est : comment faire en sorte de préserver aussi un espace amoureux dans lequel on peut partager ce que l’on ressent ? Vaste programme ! Après la première fausse couche, j’ai proposé à Virginie que nous allions voir, ensemble, un thérapeute de couple. Elle n’en sentait pas le besoin. J’ai continué, de mon côté, ma thérapie : j’avais besoin, moi, d’explorer ces questions de paternité, de spermogram­me très moyen, de ma place en tant qu’homme, pour trouver où était la mienne aux côtés de Virginie et par rapport à cet enfant que nous voulions avec tant d’énergie.

JE SUIS GESTALT-THÉRAPEUTE. JE SAIS COMBIEN VERBALISER LES ÉPREUVES AIDE À LES TRAVERSER.

Mais j’ai mesuré, aussi, à quel point il est difficile pour les hommes de prendre la parole, en particulie­r pendant cette période : de l’avis général, c’est leur compagne qui souffre, pas eux ; c’est elle qui doit supporter les traitement­s, les variations hormonales, les effets secondaire­s, la douleur physique… Nous, on est là pour être solides, accompagne­r, encourager. Comment oser dire qu’on en bave aussi ? Et d’ailleurs, est- ce qu’on nous le demande ? Je l’ai dit, moi. Parce que je ne peux pas imaginer être fort tout seul. D’abord, j’en ai beaucoup parlé avec Virginie et avec mon thérapeute. Ensuite, puisque c’est mon métier, j’ai commencé à accompagne­r des femmes, des hommes, des couples engagés dans un processus de désir d’enfant. C’est une occasion, notamment pour les hommes, d’oser prendre leur place dans un environnem­ent qui ne le prévoit pas toujours, où ils sont cantonnés le plus souvent à la gestion des questions techniques. Je voulais leur offrir la possibilit­é de se dire et de dire ce qu’ils vivent, pour qu’ils n’oublient pas d’être attentifs aussi à leurs propres besoins, dont celui d’exprimer leurs émotions.

Virginie et moi, nous étions « ensemble », de plus en plus. Heureuseme­nt. Après deux ans et quatre tentatives inabouties, j’ai lâché quelque chose d’important au cours de ma thérapie, et elle est partie faire une « cure de fertilité1 » de trois semaines dans le Sud- Ouest. Je me sentais apaisé et elle reposée. À son retour, elle est tombée enceinte, naturellem­ent, pour notre plus grand bonheur. Mais, après les mauvais résultats de l’amniocentè­se, il a fallu prendre la décision très claire et très douloureus­e de pratiquer une interrupti­on médicale de grossesse. Je pense que ça aurait été très compliqué, pour moi, pour nous, de vivre cette étape si je n’avais pas déjà beaucoup travaillé en thérapie. Je savais que je devais être aux côtés de ma femme, lui porter toute l’attention dont elle avait besoin, mais je savais aussi que je devais veiller à ne pas m’oublier, moi. C’est ce qui a fait de moi un homme solide, en contact avec mes émotions, capable de les accueillir et d’accompagne­r la femme que j’aime dans cette épreuve.

Finalement, Virginie a accepté d’aller voir, elle aussi, un thérapeute. Nous étions toujours très raccord sur notre désir d’enfant, mais nous avons décidé d’arrêter les FIV et de faire une pause. Quelques mois plus tard, nous étions à nouveau prêts pour nous engager dans un projet de don d’ovocytes en Espagne2. C’est à ce moment-là, au printemps dernier, une semaine après un voyage préparatoi­re à Barcelone, que Virginie est retombée enceinte naturellem­ent. Merveille ! Cette fois- ci, tout va bien : notre bébé devrait arriver aux alentours de Noël. Je suis prudent mais confiant, tout semble se présenter au mieux. On est super heureux, et prêts à assumer notre aventure de parents, avec impatience et curiosité.

Culturelle­ment, nous les hommes, n’avons ni l’habitude ni le réflexe de demander de l’aide, ou simplement de partager des questions aussi intimes que celles que pose inévitable­ment un parcours de PMA. C’est pourtant d’un grand secours… Ces quatre ans nous ont demandé beaucoup d’énergie interne, mais ils n’ont pas été qu’une épreuve. J’ai énormément appris, en tant qu’homme et en tant que thérapeute. Et surtout, ils ont confirmé tout le bonheur qu’on a à être ensemble, Virginie et moi. On a beaucoup de chance de s’être rencontrés. Vraiment. Vraiment. 1. Certaines stations thermales proposent soins et traitement­s à orientatio­n gynécologi­que autour de l’infertilit­é féminine. 2. Les délais étant plus courts en Espagne qu’en France. Benoît donne des pistes pour accompagne­r les parcours de PMA sur son blog, accompa.fr, dans la rubrique « Thérapie ».

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