Psychologies (France)

« Je suis inquiète pour ma soeur »

En tête à tête avec le psychiatre et psychanaly­ste Robert Neuburger, un lecteur ou une lectrice s’interroge sur la nécessité de suivre une psychothér­apie. Ce mois- ci : Léa, 27 ans.

- Propos recueillis et résumés par Aude Mérieux Photos Bruno Levy

LA PREMIÈRE SÉANCE

“J’ai une soeur qui a trois ans de moins que moi, pose Léa en entamant la séance. Depuis qu’elle ne vit plus avec mes parents, elle nous inquiète parce qu’elle souffre beaucoup de sa solitude. Elle ne se lie pas facilement, et les relations qu’elle noue sont toujours plus ou moins toxiques. On lui a dit que si elle souffrait tant de l’isolement, elle pourrait peut-être consulter un psy. Elle a essayé, mais le feeling n’est pas passé. Cela fait cinq, six ans que ça dure. De temps en temps, on a des appels d’elle disant : “Ça ne va pas, faites quelque chose pour moi.” Il y a peu encore, elle m’a appelée au travail en me demandant de venir parce qu’elle venait d’avorter. Pour moi, ces épisodes sont d’une violence inouïe. — Que faites-vous dans ces cas-là ? l’interroge Robert Neuburger. — J’y vais, parce qu’elle se met dans des situations pas possibles à force de ne pas en parler, de faire ses choix et de tout garder pour elle. Aujourd’hui, nous vivons à Lyon, elle et moi, mais il y a trois ans, elle vivait à Paris et m’a appelée pour me signaler qu’elle avait rencontré un garçon sur Internet et qu’il allait s’installer chez elle… alors qu’elle ne l’avait encore jamais vu. C’est sa manière de rencontrer les gens, parce qu’elle n’arrive pas à établir de contacts dans la “vraie vie”. — Et c’est vous qu’elle appelle ? Pas vos parents ? — En fait, elle ne dit rien à mes parents, et de moins en moins à moi, parce que, dans le passé, il y a eu des épisodes que je n’ai pas pu supporter. Mais dans des cas comme ça, j’en parle à mes parents parce que je ne peux pas tout gérer seule. — Travaille-t-elle ? A-t-elle fait des études ? — Oui, elle est professeur­e intérimair­e. Mais je n’arrive pas trop à savoir comment ça se passe. En fait, elle est mariée depuis l’été dernier à un Russe qu’elle a rencontré à Moscou il y a trois ans. Elle était partie deux semaines là-bas, seule, pour visiter le pays. À son retour, elle était restée en contact avec lui et, l’été dernier, elle nous a invités au mariage en Russie. On est inquiets depuis toujours par rapport à cette relation : on le connaissai­t très peu. Ils sont venus vivre en France et, un mois après, on a appris qu’il l’avait frappée. C’est la dernière crise et ça nous affecte beaucoup.

— Que s’est-il passé ? — Une nuit, il a appelé mes parents pour leur dire que ma soeur était partie car il l’avait frappée, mais qu’il n’en pouvait plus parce qu’elle était vraiment folle. Il a eu des mots très durs envers elle. Mes parents ont réussi à avoir un contact avec ma soeur. Quelques jours plus tard, ils y sont allés et ont essayé de comprendre ce qui s’était passé. Mon père a voulu que nous soyons tous présents et fassions une sorte de conseil de famille. Nous attendions des excuses de ce garçon à ma soeur, mais il n’en a pas fait, alors mon père lui a demandé de partir, ma soeur était d’accord. Ensuite, ma mère est restée un mois avec elle pour qu’elle ne se sente pas trop seule. — Et depuis le départ de votre mère ? — Mes parents sont inquiets. Je voyais beaucoup ma soeur, tous les week-ends et parfois même en semaine. Mais, récemment, elle a fait revenir son mari, et j’ai cessé parce que je n’ai pas envie de revoir ce garçon qui l’a frappée. — Et si on parlait de votre vie à vous ? — Je ne comprends pas… De mon côté, tout va bien. J’aime mon travail, je vis en couple depuis cinq ans, on a pas mal d’amis, on fait du sport ensemble, des repas, des sorties. La plupart du temps, on associait ma soeur à ces activités. — Vos parents comptent beaucoup sur vous pour veiller sur elle… — Oui. Ils vivent loin et ne sont plus si jeunes. Quand ma soeur s’est installée à Lyon, ils me disaient que ce serait bien que je l’invite, que je lui fasse rencontrer des gens. Et je l’ai fait. — Quand vous étiez petites, vous demandait-on de vous occuper d’elle ? — Non. Tout allait bien alors. Nous étions très proches. Puis j’ai quitté la maison à 18 ans et, au début, j’ai été très prise par ma nouvelle vie, mes études. — Que pense votre compagnon de votre relation avec votre soeur ? — Il trouve que je me laisse trop “bouffer”, mais que la situation n’est pas facile. Cela lui pèse parfois. — Est-ce plus pour vos parents ou pour vous que vous veillez sur elle ? — Je pense que c’est pour moi. Mais je suis très inquiète pour mes parents. Ils ressentent très fortement le stress causé par ma soeur, or mon père a eu des soucis cardiaques il y a quelques années. En fait, ils ne me demandent pas grand-chose, mais je sais bien qu’ils comptent un peu sur moi. — Au fond, dans la famille, votre soeur est la fille à problèmes, et vous, la fille à solutions. — C’est vrai que, depuis qu’elle a quitté la maison, mes parents ont fait beaucoup de choses pour elle, en pensant qu’elle n’allait pas bien et avait besoin d’être aidée. Peut-être qu’elle ne va pas si mal, au fond… — Elle travaille et elle a des relations amoureuses. — C’est vrai… Il me revient qu’elle voulait voyager après le bac, et que mes parents l’ont poussée à faire tout de suite ses études pour qu’elle s’assure un métier stable. Il y a eu un conflit entre eux à ce moment-là, et je l’ai trouvée si dure avec mes

“Mes parents ont fait beaucoup de choses pour ma soeur, en pensant qu’elle n’allait pas bien et avait besoin d’être aidée” Léa

“Votre soeur joue très bien son rôle de fille à problèmes, vos parents, celui de sauveteurs, et vous, vous voulez soulager vos parents et aider votre soeur” Robert Neuburger

parents que je suis restée brouillée avec elle pendant un an. À l’époque, elle avait une copine assez malsaine qui la dénigrait sans cesse. Mes parents disaient déjà qu’ils portaient ma soeur “à bout de bras”. Ma mère a insisté pour que je me réconcilie avec elle, ce que j’ai fait. — L’auriez-vous fait si votre mère n’était pas intervenue ? — Je ne sais pas… Pas sûr. Je ne lui en voulais pas, mais elle ne tenait pas tant que cela à renouer. — Je suis très sensible à l’idée du conseil de famille. Parce que, dans une situation de ce type, l’idée qui peut venir est celle d’une psychothér­apie familiale. J’ai l’impression qu’il y a un jeu familial dans lequel chacun est pris. Votre soeur joue très bien son rôle de fille à problèmes qui a besoin d’aide, vos parents, celui de sauveteurs, et vous, vous êtes prise dans cette situation où vous voulez soulager vos parents d’un côté et aider votre soeur de l’autre. Mais le jeu finit par peser sur chacun. Imaginons que vous décidiez d’avoir un enfant, que va-t-il se passer ? — Eh bien, là, nous avons envie de quitter Lyon pour Bordeaux, où mon compagnon a plein de copains, et je n’ose pas le dire à ma soeur… — Une psychothér­apie familiale permettrai­t d’assouplir les liens. Je trouve que votre soeur en fait beaucoup pour inquiéter tout le monde, que vos parents n’arrivent plus à faire autre chose que l’aider, et vous, à faire autre chose que de vous faire du souci pour elle. C’est un cercle vicieux. — Mais géographiq­uement, ce ne sera pas facile… — Vous savez, les thérapies familiales, c’est souvent une séance par mois. Donc ce n’est pas si difficile. Dans une situation pareille, je ne crois pas beaucoup aux thérapies individuel­les, parce que tout le monde est lié. Aucun de vous n’a vraiment la possibilit­é de se déprendre si les autres ne se déprennent pas. Une thérapie familiale permettrai­t de changer ensemble, et à votre soeur, de trouver autre chose à faire qu’inquiéter vos parents. À mon avis, elle en est parfaiteme­nt capable. » Pour des raisons de confidenti­alité, le prénom et certaines informatio­ns personnell­es ont été modifiés. Robert Neuburger est l’auteur, entre autres, des Familles qui ont la tête à l’envers, revivre après un traumatism­e familial (Odile Jacob).

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