Psychologies (France)

Du début de l’amour (peut-être) et de la forme des nuages

- CHRISTOPHE ANDRÉ

CCela se passe dans le train. Une dame et un monsieur, entre 60 et 70 ans, qui ne se connaissai­ent pas, se retrouvent assis l’un en face de l’autre. Ils regardent un peu leurs portables, jettent un vague coup d’oeil sur leurs magazines, puis, finalement, commencent à se parler – visiblemen­t l’activité qu’ils préfèrent dans un train. Je les écoute ; autant les monologues au téléphone m’agacent, autant les vrais échanges m’amusent et m’intéressen­t. Je sais, c’est indiscret, mais c’est plus fort que moi. Rapidement, la conversati­on va bon train, si j’ose dire, et les sujets se succèdent. Au bout d’un moment, il y a de la fatigue et ça retombe un peu, les grands thèmes généraux (voyage, temps, horaires et retards) sont épuisés. Le monsieur regarde alors par la fenêtre et admire le ciel, effectivem­ent un très beau ciel d’automne, changeant sans cesse. Quelques banalités entre eux sur la beauté des nuages, de la lumière. Puis la conversati­on décolle : la dame explique qu’elle voit toujours des tas de formes dans les nuages : animaux, visages, objets. Le monsieur est ravi parce que, lui aussi, ça lui fait la même chose ! Ils se lancent dans un petit jeu : « Et là, vous voyez quoi Au bout d’un moment, la dame une lectrice de Psychologi­es ? ) dit : « Vous savez, il paraît que quand on voit beaucoup de formes comme ça, ça veut dire qu’on est plutôt sensible et un peu inquiet même, on se raconte plein d’histoires à partir de petits détails. » Le monsieur est ravi : « Mais c’est tout à fait moi ça, sensible et inquiet ! Et c’est vrai que dans les nuages, ou certains papiers peints, je vois toujours des choses incroyable­s ! » Ils rient et continuent de bavarder. Je les abandonne à leur conversati­on, j’ai un peu de travail et j’ouvre mon ordinateur pour m’y mettre. Pendant un moment, je suis absorbé et je les oublie ; puis je somnole un peu, bercé par leurs voix discrètes et la rumeur du train. J’ai bien aimé leurs petits échanges, pleins d’amabilités et de fraîcheur. Quand j’ouvre les yeux, le train ralentit pour un arrêt en gare. Le monsieur ramasse ses affaires. Ils se saluent gentiment, il lui souhaite un bon voyage, elle lui souhaite une bonne soirée. Rien de plus. Mince alors, quel dommage ! Comme au cinéma ou dans un roman, j’espérais qu’il allait se passer un petit quelque chose de plus entre ces deux personnage­s à la Sempé. Mais non, nous ne sommes pas au cinéma, mais dans la vraie vie : alors, pas d’idylle naissante, pas de destin qui bascule. Juste un moment léger et charmant, pour eux et pour moi. La dame a l’air un peu triste ; ou bien c’est moi qui me raconte des histoires. Le train repart, et la vie – merci, merci ! – m’offre un dernier petit cadeau : ils se font au revoir, des deux côtés de la vitre. Trop mignons ! Je me demande s’ils vont rêver à leur rencontre cette nuit…

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