Parcours de late bloomers
40, 50, 60 ans… Il n’y a pas d’âge pour se réaliser. À l’image de ces “êtres à floraison tardive”, tels que les décrit l’écrivaine Catherine Taret, deux d’entre eux nous confient leur cheminement. Épanouissant.
D ans l’un de ses sketchs, Raymond Devos se définissait comme un « vieux prodige » parce qu’il s’était mis au piano à plus de 60 ans. Une boutade qui rappelait une vérité : aller à la rencontre de son désir profond, de ce que nous avons de plus vivace, peut prendre du temps… Tandis que notre époque valorise la précocité – à l’image de notre jeune président de la République –, Catherine Taret, plume free-lance, a publié un joli petit livre : Il n’est
jamais trop tard pour éclore (Flammarion-Versilio). Elle y raconte comment, piégée dans des jobs de manager, elle a décidé de virer de bord. « J’ai rendu mon tablier un soir de bouclage du nouveau positionnement du beurre Président. Et je suis partie faire carrément autre chose. Quoi ? Euh… On verra bien ! » écrit-elle. Il s’en est suivi un lent cheminement avant de trouver sa voie ( l’écriture), en passant par quelques thérapies. Elle utilise, pour définir ces personnes qui, comme elle, s’épanouissent sur le tard, l’expression late bloomers, qui, en anglais, comporte une nuance poétique et optimiste. Elle désigne en effet ces pousses qui fleurissent tardivement dans la saison. À 42 ans, elle se sent bien, mais pas forcément arrivée à destination. Et cela ne l’inquiète pas.
LE GRAND AMOUR À 69 ANS
« Les choses ne sont pas figées. Mon regard et mon état d’esprit ont changé : j’ai accepté qu’il faille parfois demander de l’aide pour trouver, et se donner le temps de s’écouter. Vous savez, ajoute-t-elle, l’éclosion tardive peut survenir dans bien des domaines. Professionnel, mais aussi affectif. » Sa grand-mère a connu le grand amour à 69 ans. Et d’ajouter : « J’ai découvert que la vie était un parcours et pas une course, ce que je ne savais pas. » Un parcours dans lequel les voies de bifurcation peuvent toujours surgir, pourvu, précise-t-elle, « qu’on ait le courage de se sentir en décalage avec la norme, d’affronter le regard social, de prendre confiance en soi ». Jung comparaît les humains à des arbres qui ne cessent de croître. Ne l’oublions pas.
Laurent, 60 ans, ex-directeur commercial, devenu cultivateur de plantes médicinales “Je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie”
« À 57 ans, l’entreprise de médias pour laquelle je travaillais a mis fin à mon contrat. À cet âge-là, peu de chances de retrouver un emploi. La maison était payée, nos enfants se lançaient dans la vie active, ma femme m’a encouragé à privilégier le choix d’une activité plus épanouissante qu’“alimentaire”. J’avais encore vingt ans devant moi. Quel projet pouvait être abordable en termes d’investissement, tout en répondant à mes envies profondes ? La nature m’attirait et je m’intéressais depuis longtemps à l’agriculture biologique. Une solution raisonnable, une fois les autres éliminées, s’avérait être la culture de plantes médicinales. Pas évident, d’autant que je n’y connaissais rien, mais j’avais confiance dans ma capacité d’adaptation et d’apprentissage. J’ai donc repris des études et passé un BPREA [ brevet professionnel responsable d’exploitation agricole, ndlr]. Et je me suis installé en Haute-Vienne, dans la maison que mes parents m’avaient laissée. J’ai été très soutenu par ma famille et mes amis, qui trouvaient ça formidable. Les trois années écoulées ont été intenses : déménagement, défrichage, lancement de l’exploitation… La première année, j’ai souffert de lumbagos et de sciatiques, puis mon corps s’est habitué. Depuis, je ne suis plus jamais malade. Je ressens une sorte de béatitude en contemplant les champs dans lesquels j’ai travaillé, en communion avec la nature. J’aime cultiver à mains nues, pour ressentir ce contact avec la terre. Quel épanouissement ! Je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie. J’ai été à l’écoute de mes besoins, ensuite j’ai rationalisé, pas l’inverse. Si cela se réalise aujourd’hui, c’est que je n’avais pas la pertinence pour le faire il y a trente ans. Ma vie s’est révélée tardivement ? Eh bien, tant mieux ! »