Psychologies (France)

“Mon psy est l’un des hommes de ma vie”

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Vous êtes fille et petite-fille de psychanaly­stes par votre mère : quelle influence cela a-t-il eu sur votre éducation à votre avis ? M.F. :

Le métier de psy permet à ceux qui l’exercent bien de se départir du jugement et de reconnaîtr­e à chacun la singularit­é de son histoire et de ses sentiments. En cela, je pense que c’est une chance d’avoir eu une mère psy. Quoique toujours très « mère » avec nous, je sais que dans les situations difficiles, on peut avoir de vraies conversati­ons sans craindre son jugement. C’est précieux et rare. Quand la parole circule si aisément, le piège serait qu’elle en vienne à trop circuler, jusqu’à l’impudeur… Était-ce le cas chez vous ? M.F. :

Ah non ! D’ailleurs, c’est tout le paradoxe de notre fonctionne­ment familial : la facilité à parler est contrebala­ncée par une très grande pudeur. Il y a toute une catégorie d’émotions que je ne sais pas partager avec ma famille, comme les deuils. C’est au-dessus de mes forces… Cette pudeur va de pair avec l’humour, c’est un atavisme familial, comme un réflexe et un héritage culturel sans doute : mère juive et père italien. Chez nous, on communique d’abord par la vanne et l’autodérisi­on. L’humour est une merveilleu­se mise à distance qui aide à traverser le pire, mais ne pas savoir dire les choses au premier degré peut être parfois handicapan­t. Cette pudeur ne vous a cependant pas bloquée dans le cadre analytique… M.F. : Non, parce que j’ai très vite compris la vertu de cet endroit où l’on déverse tout, pour en épargner les autres. Dès 23 ans, j’y suis allée trois fois par semaine durant trois quarts d’heure pendant sept ans : le rythme freudien classique. Après ça, vous n’avez plus besoin de vous raconter aux gens, vous êtes très disponible. Depuis, j’y vais irrégulièr­ement… La relation à mon psy me fascine : il est « le » témoin de ma vie ! Et le mien se souvient de tout. Je crois pouvoir dire que, après mon père et mon frère, il est l’un des hommes de ma vie. Les deux premiers ont disparu… M.F. : Mais j’espère que mon psy est immortel. [Rires] Votre père est mort récemment : cela a-t-il résonné avec la mort de votre frère ? M.F. :

C’est très différent : il était malade et il a choisi sa fin. Voilà d’ailleurs un sujet qui me met en colère : je ne comprends pas que la France soit si résistante face à cette question de l’euthanasie. Mourir dans la dignité, c’est la moindre des choses. Il faut laisser le choix à ceux qui ne l’ont plus de décider que c’est la fin de l’histoire, une dernière liberté, l’ombre de la dignité, celle qui reste à ces corps foutus, dévastés. La mort de mon père n’a rien à voir avec la mort de mon frère, qui reste pour moi insoluble dix-huit ans après, je ne supporte toujours pas l’idée que notre conversati­on soit interrompu­e. Il est toujours là, pour vous ? M.F. : Eh bien non, justement : il n’est plus du tout là ! Il n’est plus rien du tout. Je me fous de parler à sa pierre tombale. Je refuse d’entendre dire qu’il est toujours là, son souvenir ne me suffit pas, pas du tout [Silence]. Vous voyez comment je suis : je vous réponds avec colère, c’est tout juste si je ne vous engueule pas ! [Rires] N’est-ce pas contre lui que vous êtes en colère ? M.F. : Si, si, si, je lui en ai beaucoup voulu… Depuis sa mort, j’ai en moi une zone vide… Mais cela ne m’empêche pas de vivre de grandes joies, de grandes amours, et de rire beaucoup, souvent, dès que je peux. Notre dossier donne des clés pour « ne pas se laisser manipuler » : cela vous interpelle-t-il ? M.F. :

Non. Moi, j’aime me laisser manipuler : être actrice, c’est se rendre disponible à ce que les metteurs en scène voient en vous, et cela m’a transformé­e. Comme en amour : on y est toujours manipulé puisque bouleversé, sinon quel intérêt ? Puis, pour des gens qui ont tendance à être dans le contrôle comme moi, cela peut même être régénérant de temps en temps de se laisser manipuler : je me mets en vacances de moi-même ! Cela dit, je vous parle là de manipulati­on consentie. Et peut- être que je ne crains pas la manipulati­on parce que, sachant à peu près qui je suis, je ne crains pas de me perdre.

Une vraie guerrière, donc… M.F. :

Pas tant que ça, à vrai dire. Je pense que toute l’énergie que je dépense à montrer que « je suis une guerrière » sur certains plans m’épuise sur d’autres où je suis une lavette. Vous savez, je suis une fausse punk : je n’annule pas les rendez-vous, j’arrive à l’heure, je fais ce que je dis, je me soumets aux « ce qu’il faut dire », « ce qu’il faut faire »… Mon côté bonne élève n’est pas celui qui m’intéresse le plus, mais je dois faire avec. Vous êtes, je crois, une adepte d’Instagram… M.F. : J’adore ça, car je suis voyeuse et exhib ; si, à mon âge et faisant ce métier, je n’assumais pas ma part d’exhibition­nisme, je serais très malhonnête. Je me raconte comme tout le monde et me mets en scène sur Instagram avec et sans pudeur, mais j’y trouve aussi, sur le compte des autres, de quoi me laver l’oeil, nourrir mon besoin d’images, de rêverie, d’ailleurs. J’y ai des moments glorieux et des moments honteux. Vous avez eu des troubles du comporteme­nt alimentair­e, adolescent­e. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? M.F. :

Je pense que j’ai un rapport au corps vrillé par mon histoire personnell­e et que mon métier n’arrange pas : j’ai tout le temps mon image sous le nez, je me connais de dos et sous toutes les coutures. Je ne peux donc jamais être libre par rapport à mon apparence. En revanche, à l’époque où j’accumulais les régimes allant jusqu’à la privation et où je souffrais de dysmorphop­hobie1, l’alimentati­on occupait tout l’espace. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, je ne me prive plus, je suis libre et je pose sur moi un regard que je crois honnête. En tout cas, j’assume tout ce que je suis. Et ça, je le dois aussi, paradoxale­ment, au cinéma. Et aux gens de la mode. Et aux hommes… et à mes abonnés Instagram. [Rires] Vous venez d’esquisser de vous un autoportra­it tout en mouvement, intérieur et extérieur. Un élément semble cependant rester très stable : votre couple… M.F. :

Sincèremen­t ? Je pense que le couple est la chose la plus mystérieus­e et compliquée qui soit. Peut- être la plus belle à réussir, mais la plus impossible. Parce qu’on croule sous des modèles imposés par la famille, les amis, les normes sociales… Il est très difficile d’y trouver sa liberté. La longévité n’est pas mon but ; au contraire, je crois que ça m’angoisse. La richesse de l’échange, ce que l’on s’apporte l’un à l’autre, c’est ça qui m’importe. Qu’attendez-vous des années à venir ? M.F. :

Des surprises. J’ai envie qu’on m’ouvre des horizons, des perspectiv­es que j’ignorais… Oui, je compte vraiment sur le reste du monde pour m’aider à éviter les « j’aurais dû ». [Rires] 1. La dysmorphop­hobie est un trouble de l’image de soi qui engendre une vision déformée d’une partie de son corps.

 ??  ?? Stylisme Charlotte Renard, assistée d’Aesane Pecnard. Maquillage Angloma. Coiffure Paolo Ferreira chez Calliste Agency. Chemise Maison Standards, bijoux Charlotte Chesnais.
Stylisme Charlotte Renard, assistée d’Aesane Pecnard. Maquillage Angloma. Coiffure Paolo Ferreira chez Calliste Agency. Chemise Maison Standards, bijoux Charlotte Chesnais.

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