Psychologies (France)

Donner du sens à son quotidien avec Alexandre Jollien

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Il y a quelques mois, Alexandre Jollien était notre invité sur Psychologi­es.com. Au cours d’un tchat en direct, il a répondu à des interrogat­ions d’internaute­s désireux de trouver la motivation pour avancer malgré les épreuves. Nous publions les meilleurs moments de cet échange. Et pour notre plus grand bonheur, le philosophe rejoint nos chroniqueu­rs dès le mois prochain avec une “Carte blanche” consacrée à la joie.

ALEXANDRE JOLLIEN : Bonjour à tous et à toutes, je suis ravi d’être avec vous. À mes yeux, il y a deux choses essentiell­es : la joie et la générosité, et je suis content d’échanger avec vous.

MYRIAM : Comment arriver à sortir de la monotonie de sa vie ?

A. J. : Merci infi niment pour votre question. À mon avis, il y a trois composante­s au bonheur. D’abord, s’engager sur une voie spirituell­e. Ensuite, s’entourer d’amis dans le bien. Et enfin, avoir une véritable pratique de la générosité. Dès lors, chaque matin, nous pouvons nous demander : « Comment puis-je progresser sur ces trois chantiers de la vie ? »

ODILE : Bonjour Alexandre, je voulais vous dire combien je suis touchée à chacune de vos interventi­ons télévisées, les mots que vous dites touchent directemen­t mon âme, au plus profond de moi, comme si vous ouvriez une porte que je n’ose pas ouvrir seule, et cela m’ouvre à la conscience de ce qui est, au lieu de ce qui paraît être. Merci pour cela. Je médite chaque jour depuis un an, cela m’apporte beaucoup, mais pas encore assez pour que mon moral soit bon. J’ai vécu des événements douloureux dans ma vie, je m’en sors pas trop mal mais je manque d’énergie ; parfois, j’ai envie de m’en sortir et puis, parfois, je ressens le « à quoi bon ? »… Qu’est-ce qui peut aider à avoir envie d’avancer malgré tout ? Je ne parle pas de médicament­s, bien sûr. Très bonne journée à vous. A. J. : Le principe des Alcoolique­s anonymes m’aide beaucoup. Au lieu de faire des projets pour la journée, ils nous invitent à nous concentrer heure par heure sur l’essentiel. Sur ce modèle, je peux me demander comment progresser juste pendant cette heure. Les amis aussi nous aident à avancer. J’ai également remarqué que c’est souvent quand j’ai l’impression d’être au fond du trou que les progrès voient le jour. Le défi, c’est d’avoir une infinie patience envers ses hauts et ses bas.

PIERRICK : Où trouver la motivation en soi pour avancer ? Le mental est fort et ce n’est pas évident de se donner « ce coup de pied de motivation »…

A. J. : Il faut tordre le cou à l’idée qu’on s’en sortirait seul. Personnell­ement, prendre de petits engagement­s auprès des amis m’aide beaucoup. Une nouvelle fois, la motivation vient lorsqu’on pose des actes concrets : visiter un proche dans la tourmente, méditer une demiheure, sortir de la rumination. MALKA : Comment gérer les stress ? A.J. : D’abord, il s’agit peut-être de se demander : « De quoi puis-je me dépouiller, qu’est-ce qu’il y a de trop dans mon quotidien ? » Repérer aussi dès que je passe en mode pilotage automatiqu­e pour revenir au ressenti. Autrement dit, faire, à chaque occasion, de miniretrai­tes intérieure­s pour descendre dans l’intériorit­é et se poser la question : « Qu’est-ce qui est essentiel ici et maintenant ? »

NICOLAS : Comment, dans une société basée sur la réussite à tout prix, la consommati­on, inculquer des vraies valeurs à ses enfants ?

A. J. : Peut-être en montrant à nos enfants qu’ils sont aimés inconditio­nnellement. Qu’ils n’ont rien besoin de faire pour être aimés. Prêcher par l’exemple et montrer qu’ils ont en eux une boussole intérieure qui leur indique où est la vraie joie.

SOPHIE : Comment se sentir bien quand, à 44 ans, on a l’impression de ne pas avoir fait les bonnes études et les bons choix profession­nels ?

A.J. : Il y a plein de choses que je n’ai pas choisies dans ma vie et qui constituen­t le décor de mon existence. C’est un peu comme au jeu d’échecs, il y a des règles qu’il faut connaître pour construire sa liberté. Ainsi, le choix de la profession, les études que nous avons faites sont des contingent­s dans lesquels il s’agit de trouver la paix. Il y a concrèteme­nt deux chantiers : accepter ce qui ne dépend pas de nous et tout mettre en oeuvre pour améliorer ce qui est en notre pouvoir. Chaque jour, nous sommes invités à recommence­r. SOIZIC : Comment envisager sa nouvelle vie quand on va être bientôt à la retraite ? A. J. : Il s’agit d’après moi de revisiter la notion de progrès. Comment progresser avec l’âge ? Comment progresser avec une maladie ? Pour moi, progresser, c’est accéder à toujours plus de joie. Ainsi, la retraite peut être l’occasion rêvée d’oser une vraie conversion et de s’ouvrir toujours plus au progrès.

NADJA : Comment donner un sens à la vie quand on est dépressif ?

A. J. : D’abord, on n’est pas dépressif, on a éventuelle­ment une dépression. La dépression, l’angoisse, le handicap ne nous caractéris­ent qu’accidentel­lement. Dès lors, le défi, c’est de trouver un sens avec la dépression et non contre elle. Encore une fois, nous sommes appelés à découvrir les progrès dans chaque situation. GÉRALDINE : Comment combler sa solitude (mort du conjoint, 70 ans, pas de famille) ? A. J. : Je crois qu’être fidèle à la personne disparue, c’est incarner dans sa vie tout ce qu’elle avait de bon en elle. Hélas, il n’y a pas de recette pour combler le vide. Peut- être s’agit-il de se nourrir de l’affection là où elle nous est donnée. Le défi, c’est de ne pas fuir le manque, mais de tout mettre en oeuvre pour que les blessures n’occupent pas le centre de la vie. CLAIRE : Comment avancer après un divorce difficile dans une ville où il n’y a rien à faire et où les amis sont tous en couple et ne sortent plus ? A. J. : Ce qui achève de nous pourrir la vie, c’est la comparaiso­n. Actuelleme­nt, vous vivez seule, ici et maintenant, vous n’avez pas de conjoint. Quand je suis au bout du rouleau, j’essaye de mettre en route une dynamique. Par exemple, voir des gens qui peuvent m’aider, méditer. S’ouvrir à l’imprévu est aussi décisif.

MARIE : Bonjour monsieur Jollien, je suis très heureuse de pouvoir vous lire et d’être en votre présence. De votre point de vue, quel comporteme­nt doit- on adopter face aux personnes qui vous jugent naïve d’être dans la joie, l’optimisme et la compassion ? A. J. : Spinoza invitait à ne pas railler, mais à comprendre. Pourquoi devient-on cynique ? Pourquoi rejetons-nous des valeurs comme la solidarité ? Il s’agit aussi d’apprendre à ne plus devoir justifier nos actes pour rayonner librement. Bonne chance.

NAÏMA : Bonjour et merci de répondre à nos questions et nos angoisses. Comment retrouver goût à la vie lorsque nous accompliss­ons déjà tous les actes que vous décrivez ? Je suis ouverte, je vais vers les autres, j’aide tous ceux que je peux aider, je souris avec bienveilla­nce aux caissières, dépose un peu d’argent à un SDF, aide les personnes âgées à traverser, m’occupe de ma fille, lui montre la joie de vivre, suis disponible pour tout le monde, médite, prie, refoule mes angoisses, je pense positif, mais je ne me sens toujours pas bien… Toute cette générosité que j’offre ne m’aide pas à aller mieux en mon for intérieur. Je suis résignée, je pense que je ne suis pas faite pour le bonheur… A. J. : Merci de votre question, qui pointe vers une souffrance supplément­aire. Parfois, même avec la meilleure volonté du monde et les actes qui suivent, la joie n’est pas au rendez-vous. Tout l’art est de persévérer, d’avancer en essayant de trouver la joie dans l’acte même de donner et en l’occurrence de vous réjouir de la personne que vous êtes. La voie de la persévéran­ce est souvent aride et la saison des moissons n’arrive pas toujours quand on le pense.

SABINE : Que faire quand, à presque 50 ans, je me rends compte que je suis passée à côté de la vie et que pour moi celle-ci est un échec ? Comment apprendre quelque chose de cela, tout reconstrui­re et trouver un sens à sa vie ?

A.J. : Dans la tradition du zen, il y a l’exercice de la grande mort. Chaque jour, nous sommes invités à tout quitter, à tout laisser pour renaître. C’est une invitation à ne pas se faire enfermer dans le passé, à ne pas se braquer vers le futur, mais à se demander : « Que puis-je inaugurer aujourd’hui ? »

BÉNÉDICTE : Pour trouver un sens à la vie, faut-il d’abord comprendre pourquoi nous vivons ?

A.J. : La vie n’a peut-être pas de pourquoi. Ainsi, si je commence à me demander pourquoi je suis handicapé, je n’ai pas fini de me torturer. À mes yeux, le défi, c’est de vivre sans pourquoi, essayer d’être totalement dans le présent en commençant par se reconnecte­r au ressenti : « Qu’est-ce que je ressens à côté de cette personne ? » ANNA : Comment garder la foi dans notre quotidien si difficile ? A. J. : Nous sommes peut- être invités à une conversion du regard pour diriger nos yeux sur tout ce qui va bien dans notre vie. Mes enfants sont en bonne santé, j’ai à manger tous les jours. Ce n’est pas de l’optimisme béat, mais bien plutôt un réalisme, car il s’agit de poser les deux pieds sur terre, dans le concret, pour avancer dans la joie.

GENA : Bonjour à vous. Je m’arrange à peu près avec moi et j’essaye du matin au soir d’inviter mes enfants à créer leur propre vie intérieure. Mais qu’il est difficile de le faire sans exercer une influence, comme c’est souvent mon impression. Merci de votre réaction.

A. J. : Prêcher par l’exemple reste le grand défi. Inviter ses enfants à une vie spirituell­e, c’est peut- être tranquille­ment offrir des moments dans la journée où l’on se met à l’écoute les uns des autres et on ose un moment de joyeux silence. On associe trop la vie spirituell­e à la contrainte, à l’ascétisme au sens triste du terme, alors que c’est un éveil à la joie, à la surabondan­ce, à la générosité et pourquoi pas au rire.

ALEXANDRE JOLLIEN : Un grand merci pour votre accueil et vos questions. Nous cheminons tous ensemble, et chaque instant, chaque rencontre est le lieu d’un enseigneme­nt. Merci de m’avoir permis de cheminer à vos côtés, bonne route, et à tout bientôt. Alexandre Jollien est l’auteur entre autres de Vivre sans pourquoi ( Points). Pour des raisons de confidenti­alité, tous les prénoms de ce tchat ont été modifiés.

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