Psychologies (France)

Toutes des sorcières !

Le prix de l’essai qui aide à mieux vivre a été décerné à Mona Chollet pour Sorcières. Un ouvrage qui renverse bien des idées reçues et redonne confiance aux femmes.

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Pourquoi les femmes ont- elles toujours été persécutée­s, tuées, violées, méprisées ?

Pourquoi cela se poursuit-il, sur tous les continents et dans toutes les cultures ? L’affaire Weinstein et tous ses avatars en sont plus que jamais le symptôme. Alors, où chercher pour comprendre les racines du mal et enfin pouvoir y échapper ? Mona Chollet, journalist­e et essayiste, mène l’enquête pour essayer de débusquer les vérités qui nous font tant de mal. C’est en se penchant sur la figure emblématiq­ue des sorcières que l’auteure traque ce qui se cache dans l’esprit des femmes, dont la puis- sance effraie tant les hommes, et dans celui de ces derniers lorsqu’ils sont malfaisant­s. Et on découvre des réalités qui doivent nous faire réagir. « Je ne réalisais pas que nous étions aussi maltraitée­s sans nous en apercevoir, et que, imprégnées de représenta­tions, nous participio­ns à notre propre malheur », soulignait l’une des jurées du prix. Sous la houlette du président, Jean-Marc Savoye, lauréat 2018, le choc qu’a été la lecture du livre a convaincu le jury de le couronner. « Une lecture de salut public », concluait l’un des libraires de la Fnac. En voici un extrait. Christilla Pellé-Douël

L« L’autonomie n’est pas l’apanage des célibatair­es ou des veuves. Elle peut aussi s’exercer au sein du foyer, au nez et à la barbe du mari. C’est bien ce que symbolise la fiction du vol nocturne de la sorcière, qui l’amène à déserter la couche conjugale en trompant la vigilance de l’homme endormi pour enfourcher son balai et partir au sabbat. Dans le délire des démonologu­es, qui trahit les hantises masculines de leur temps, le vol de la sorcière, écrit Armelle Le Bras- Chopard, “figure une liberté d’aller et venir, non seulement sans la permission du mari, mais le plus souvent à son insu si lui-même n’est pas sorcier, voire à son détriment. En utilisant un bâton, un barreau de chaise, qu’elle met entre ses jambes, la sorcière s’attribue un ersatz du membre viril qui lui fait défaut. En transgress­ant fictivemen­t son sexe pour se donner celui d’un homme, elle transgress­e aussi son genre féminin : elle se donne cette facilité de mouvement qui, dans l’ordre social, est un apanage masculin. […] En s’octroyant cette autonomie, et donc en se soustrayan­t à celui qui exerce sa propre liberté d’abord par la domination qu’il a sur elle, elle lui subtilise une part de son pouvoir : cet envol est un vol”.

L’autonomie, contrairem­ent à ce que veut faire croire aujourd’hui le chantage de la “revanche”, ne signifie pas l’absence de liens, mais la possibilit­é de nouer des liens qui respectent notre intégrité, notre libre arbitre, qui favorisent notre épanouisse­ment au lieu de l’entraver, et cela quel que soit notre mode de vie, seule ou en couple, avec ou sans enfants. La sorcière, écrit Pam Grossman, est le “seul archétype féminin qui détient un pouvoir par elle-même. Elle ne se laisse pas définir par quelqu’un d’autre. Épouse, soeur, mère, vierge, putain : ces archétypes sont fondés sur les relations avec les autres. La sorcière, elle, est une femme qui tient debout toute seule”. Or le modèle promu à l’époque des chasses aux sorcières, imposé d’abord par la violence et plus tard – avec la constituti­on de l’idéal de la >>

femme au foyer, au XIXe siècle – par un savant mélange de flatterie, de séduction et de menace, enchaîne les femmes à leur rôle reproducti­f et délégitime leur participat­ion au monde du travail. Par là, il les place dans une position où leur identité risque sans cesse d’être brouillée, atrophiée, phagocytée. Il les empêche d’exister et de se réaliser pour en faire des représenta­ntes d’une prétendue essence féminine. En 1969, à New York, le groupe Witch avait perturbé un salon du mariage en y lâchant des souris. L’un de ses slogans pestait : “Être une épouse pour toujours, mais une personne, jamais.”

Aujourd’hui, celle qui partage sa vie avec un homme et des enfants doit toujours lutter de toutes ses forces si elle ne veut pas devenir une “femme fondue”. L’expression est de Colette Cosnier, qui s’est penchée sur les Brigitte, série à l’eau de rose en quarante volumes de Berthe Bernage qui a commencé à paraître dans les années 1930. À travers son héroïne, qui a 18 ans dans le premier tome et est arrièregra­nd-mère dans les derniers, l’autrice voulait “composer une sorte de traité de la vie moderne à l’usage de la jeune fille, puis de l’épouse et de la mère”, explique Colette Cosnier. Ainsi, quand Brigitte couve ses enfants du regard, attendrie, Berthe Bernage écrit : “Roseline se fondra quelque jour dans une autre famille, tandis que lui, le petit homme qui serre ses poings minuscules et déjà volontaire­s, il sera ‘ lui’.” On pourrait se croire à mille lieues d’un univers aussi réactionna­ire ( pendant la guerre, Brigitte, bien sûr, sans jamais le dire explicitem­ent, fut pétainiste, et à l’occasion antisémite). Et pourtant… Au sein de la famille hétéropare­ntale, les besoins d’une femme doivent toujours s’effacer devant ceux de son compagnon et de ses enfants. “Les femmes s’entendent souvent dire que la bonne manière d’être une mère, c’est de se fondre dans la vie des autres”, écrit la sociologue Orna Donath. Dans les couples les plus progressis­tes, si cette logique archaïque n’est plus théorisée – ce serait inadmissib­le –, elle se met en place presque magiquemen­t, lorsque la charge du foyer tombe sur les mères tel un gigantesqu­e éboulis. » Par souci de lisibilité, les notes de l’auteur et de l’éditeur ne figurent pas dans cet extrait.

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Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet, Zones, 240 p., 18 €.
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