Psychologies (France)

Le pouvoir libérateur de la parole

L’un parle, l’autre écoute. Pour la psychanaly­se, la délivrance passe par les mots. Comment agissent-ils sur nos entraves ? Séance d’explicatio­ns.

- Par Stéphanie Torre, psychanaly­ste et journalist­e

« Dites ce qui vous vient à l’esprit… »

Pour qui a, un jour, fréquenté le divan d’un analyste, la formule s’apparente à un sésame. C’est par ces mots que j’ai longtemps été accueillie durant ma propre cure, par cette même formule que j’invite aujourd’hui mes patients à prendre la parole à chaque début de séance. « Les idées, les images, les sensations, telles qu’elles vous viennent… Ditesles. » Probableme­nt comme le prononça Freud, en 1889, quand sa patiente Emmy von N. lui intima : « Ne me touchez pas, ne me dites rien, laissez-moi parler librement1. » Pour le médecin viennois, ce fut un eurêka : fini le recours à la suggestion pour faire parler l’inconscien­t de ses patients. Dorénavant, la spécificit­é de la talking cure serait de proposer un dispositif dans lequel les analysants – les patients – s’exprimerai­ent librement, et où seraient écoutés et déchiffrés leurs dires, même les plus insensés, étranges, obscurs, irrationne­ls… « Il faut bien que la parole soit entendue par quelqu’un, là elle ne pouvait être entendue par personne », répétait en son temps Jacques Lacan. Manière d’insister : la parole n’est pas seulement à voir comme le médium de la cure. Pour la psychanaly­se, la parole, c’est la cure elle-même.

Un symptôme, ça s’écoute

En cas de souffrance­s psychiques, notre époque préconise le recours aux thérapies courtes promettant d’éradiquer nos symptômes en quelques rendez-vous. Beaucoup d’entre elles oublient cependant que ceux-ci sont justement à écouter attentivem­ent parce qu’ils ont une valeur. Aux patients qui me demandent parfois un « mode d’emploi pour guérir vite », il m’arrive ainsi de répondre : « En entravant votre existence, votre mal-être ne tente-t-il pas de vous dire quelque chose ? Un message à propos de vous-même que vous refusez d’écouter ? » S’ils consentent à prendre le temps de l’entendre, alors le travail peut commencer. À tâtons d’abord : pas simple de mettre en mots ses pensées en réactivant les éléments de son histoire. Mais, peu à peu, à force de revenir sur ce qui fait traces, en s’écoutant dire, d’autres chemins se dessinent. Alors, on le sent, on le vit : le langage, qui si souvent nous aliène, cède peu à peu sa place à la parole qui libère.

Une pratique qui nous transforme

Comment rendre compte de la fonction transforma­trice de la parole en psychanaly­se, de ses puissants effets de réaménagem­ent psychique ? Si tangible pour l’analysant, ce qui se passe dans la cure est en même temps si difficilem­ent partageabl­e. Une chose est sûre : être invité à parler, raconter, questionne­r, associer, élaborer, oui, finalement, ça change tout ! Parce que, progressiv­ement, à force de « s’autoriser à pratiquer sa langue comme elle est2 », on voit naître sa propre parole et on forge sa voix. On devient capable de parler de soi, de se narrer, ce qui dissipe les barrières imaginaire­s que l’on avait dressées. En ce sens, toute cure est donc une aventure singulière permettant (enfin) d’affirmer ses propres contours. Pour passer d’un « moi » douloureux et indolent, à un « je » responsabl­e et désirant. Odyssée sublime, vous dis-je. 1. Dans Études sur l’hystérie de Sigmund Freud et Joseph Breuer ( PUF). 2. Selon l’expression de Dominique Sigaud, auteur de Dans nos langues ( Verdier).

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